In Platonis Phaedrum Scholia: 242d10-e2

λόγος, καταφαρμακεύω, φάρμακον, écriture, pensée non humaine

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Σωκράτης
οὔ τι ὑπό γε Λυσίου, οὐδὲ ὑπὸ τοῦ σοῦ λόγου, ὃς διὰ τοῦ ἐμοῦ στόματος καταφαρμακευθέντος ὑπὸ σοῦ ἐλέχθη.

Socrate
Il ne l'était pas dans le discours de Lysias, ni dans le tien, qui a été dit par toi à travers ma bouche que tu avais empoisonnée.

Platon, Phèdre, 242d10-242e2

Demandons-nous, encore une fois: qui parle, qui pense? Le discours de Socrate a disparu. Il y a bien deux discours, comme Socrate vient de le dire. Par contre il avait dit: “le discours dont tu t’es chargé et celui que tu m’as obligé à faire” (λόγον αὐτός τε ἐκόμισας ἐμέ τε ἠνάγκασας εἰπεῖν). Dans cette première formulation on peut reconnaître le discours de Lysias - dont Phèdre s’est juste chargé (κομίζω, s’occuper de quelque chose, en prendre soin), et celui que Socrate a prononcé - même s’il l’a fait en y étant obligé (ἀναγκάζω) par Phèdre, le producteur de discours.

Or, dans cette, seconde formulation, il n’y a plus Socrate, même pas en tant que personne qui prononce le discours. Le premier discours est bien de Lysias (ὑπό Λυσίου), mais le second est de Phèdre (ὑπὸ τοῦ σοῦ λόγου). Et non seulement Phèdre en est l’auteur - ou du moins la cause -, mais Socrate arrive jusqu’à affirmer que c’est Phèdre qui l’a prononcé: ὑπὸ σοῦ ἐλέχθη. La seule chose qui soit impliquée dans le discours qui ait une relation quelconque avec Socrate c’est sa bouche. Mais elle n’est qu’un canal qui émet du son. Et en plus elle n’est pas dans ses conditions normales, car elle a été empoisonnée (καταφαρμακεύω). On trouve une autre fois, en préparation de la suite, l’idée du φάρμακον, dans ce cas c’est un poison et non pas une cure. La bouche a été empoisonnée et prononce donc des choses impies. Mais l’emploi de ce verbe ne peut pas nous empêcher de penser par anticipation à ce que Socrate dira sur l’écriture. Il sera question en effet de l’écriture comme φάρμακον. Dans ce contexte on dira clairement que le père du discours - et de la pensée - est celui qui parle. Sans le parlant le discours est orphelin. Le discours de Lysias est orphelin car il n’est pas prononcé par Lysias.

Mais c’est le contraire que Socrate affirme ici: le père des discours est Phèdre, celui qui parle n’est qu’un instrument. Tout semble avoir un rôle dans la paternité du discours: le lieu, les dieux, le temps, la bouche, la volonté des autres… tout sauf le parlant lui-même qui parfois est pris par la manie, parfois répète des choses dites par d’autres, ou alors est couvert et masqué justement pour ne pas prendre de responsabilités…

Qui parle? Qui pense donc?

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