In Platonis Phaedrum Scholia: 238c6

πάσχω, πάθος

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Σωκράτης
ἀτάρ, ὦ φίλε Φαῖδρε, δοκῶ τι σοί, ὥσπερ ἐμαυτῷ, θεῖον πάθος πεπονθέναι;

Socrate
Mais, cher Phèdre, ne te semble pas, comme à moi, que je suis sous une influence divine?

Platon, Phèdre, 238c6-238c6

Voilà la divinité qui réapparaît. Justement ici, après avoir proposé son étymologie grotesque et blasphème, Socrate affirme être sous l’influence d’un dieu.

Analysons tout d’abord cette affirmation au premier degré: Socrate s’étonne lui-même de la beauté et de la qualité de son discours. Si le discours est si bon, cela signifie qu’il ne vient pas de lui. Nous connaissons cette posture socratique: il est ignorant, donc il ne peut pas être un bon orateur comme Lysias. Si jamais il dit quelque chose de bon, cela signifie qu’il l’a entendu de quelqu’un d’autre. C’est par ailleurs ce qu’il avait annoncé avant de faire son discours: d’autres ont dit des choses meilleures que Lysias, même si je ne me rappelle plus qui. Socrate ne revendique jamais une originalité quelconque dans ses discours et dans ses théories. Si l’on pense à l’autre définition célèbre de l’amour, celle qu’il donne dans le Banquet ce ne sont pas ses mots, mais ceux qu’il emprunte à Diotime. Le discours vient toujours de l’extérieur. La pensée vient toujours d’un ailleurs. Et ici l’ailleurs est un dieu. Le démon de Socrate, peut-être, ou alors, comme il le dira plus tard, le démon du lieu, le genius loci qui a déjà été évoqué au début du dialogue.

Le fait que la pensée ne soit pas une production de l’individu est une évidence pour un grec de cette époque. Ce sont les dieux qui font penser, qui mettent les paroles dans la bouche des êtres humains. La pensée et le λόγος viennent toujours de l’extérieur. Pour décrire cette influence externe Socrate utilise un nom et un verbe qui justement signifient cette passivité de l’être humain: πάθος et πάσχω. Le πάθος est ce qui est subi, une affection, et πάσχω est le fait d’être affecté par quelque chose. Éprouver quelque chose signifie donc subir la force et l’influence de ce quelque chose, être porté par ce quelque chose. Et ce quelque chose qui affecte Socrate est donc divin.

Mais si on relis cette affirmation dans le contexte, on remarque immédiatement le second degré, l’ironie. Socrate veut à la fois souligner qu’il n’est pas responsable de son discours pour ne pas en prendre la responsabilité. Et cela non pas par modestie cette fois, non pas pour continuer de dire qu’il est ignorant et pas assez bon pour faire un discours de cette qualité, mais plutôt pour ne pas être responsable du blasphème, pour ne pas pouvoir être accusé de dire n’importe quoi. Et ce n’est donc pas un dieu qui parle, mais une force négative, peut-être l’influence de Lysias et des valeurs vides et méprisables des sophistes.

Mais encore une fois l’ironie n’affirme pas seulement le contraire de ce qu’elle dit: elle affirme une chose et son contraire. Elle affirme la vérité en disant que ce n’est jamais un être humain qui parle et elle affirme la vérité en disant que Socrate n’est donc pas responsable des turpitudes qu’il vient de dire.

πάσχω, πάθος scholia