In Platonis Phaedrum Scholia: 238b7-c5
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Σωκράτης
ἧς δ᾽ ἕνεκα πάντα τὰ πρόσθεν εἴρηται, σχεδὸν μὲν ἤδη φανερόν, λεχθὲν δὲ ἢ μὴ λεχθὲν πάντως σαφέστερον: ἡ γὰρ ἄνευ λόγου δόξης ἐπὶ τὸ ὀρθὸν ὁρμώσης κρατήσασα ἐπιθυμία πρὸς ἡδονὴν ἀχθεῖσα κάλλους, καὶ ὑπὸ αὖ τῶν ἑαυτῆς συγγενῶν ἐπιθυμιῶν ἐπὶ σωμάτων κάλλος ἐρρωμένως ῥωσθεῖσα νικήσασα ἀγωγῇ, ἀπ᾽ αὐτῆς τῆς ῥώμης ἐπωνυμίαν λαβοῦσα, ἔρως ἐκλήθη.
Socrate
La raison pour laquelle j'ai dit les choses qui précèdent est déjà assez claire, mais ce qui est dit est plus clair de ce qui n'est pas dit; en effet, quand le désir qui sans rationalité gagne sur l'opinion qui mène vers le bien, porté par le plaisir du beau et fortement renforcé par les désirs de sa même espèce envers la beauté des corps remporte la victoire, en prenant son nom de cette force est appelé amour.
Platon, Phèdre, 238b7-238c5
Pour la deuxième fois, Socrate joue avec des fausses étymologies. Nous nous rappelons qu’au début de son discours, en invoquant les Muses, il avait affirmé que leur épiclèse λίγειαι (λὶγυς), mélodieuse pouvait dériver du peuple des Ligures (en grec: Λίγυες). Fausse étymologie, un peu farfelue qui donnait un caractère ironique et quelque peu sacrilège à cet incipit.
Maintenant, dans un moment clé de l’argumentation, le moment où il s’agit de définir ce qu’est l’amour, il invente une autre étymologie qui semble plus un rébus ou un calembour qu’une affirmation à prendre au sérieux. Éros dériverait du mot ῥώμη, force, parce qu’il est le vice qui prédomine lorsque le désir du beau est renforcé par tous les désirs de la même espèce, à savoir les désirs des beaux corps.
La gourmandise produit des gourmands et la force d’un ensemble de désirs produirait l’amour - et donc les amoureux. Il n’y a évidemment aucun lien linguistique entre ῥώμη et ἔρως. Pour passer de l’un à l’autre il faut inverser les lettres, remplacer l’éta (η) par un epsilon (ε), supprimer un mu (μ) et, si on veut avoir le sygma, utiliser le génitif de ῥώμη (ῥώμης) - forme utilisée dans cette phrase. Aucun rapport donc. Cette étymologie n’est pas seulement fausse, elle est complètement ridicule et telle elle devait sonner aux oreilles d’un grec. Socrate joue aussi avec l’adverbe ἐρρωμένως (fortement) qui dérive du verbe ῥώννυμι et qui sonne proche du participe passé du verbe ἐράω, aimer: ἐρώμενος. Or, par contre, l’ἐρώμενος est l’aimé et non l’aimant (ἐραστής). Et l’aimé n’est évidemment pas affecté par la passion amoureuse car il en est plutôt l’objet. Pour obtenir cet effet Socrate parle du désir amoureux en disant qu’il est “fortement renforcé” (ἐρρωμένως ῥωσθεῖσα) par d’autres désirs de la même espèce. Mais si c’est l’objet du désir qui donne le nom au vice en question, alors pour l’amour le nom devrait plutôt dériver de beauté (κάλλος) ou plus précisément de beauté des corps (σωμάτων κάλλος).
On comprends très bien donc que Socrate est en train de plaisanter - ce dont Phèdre l’avait accusé quelques répliques avant. Ce n’est même pas de l’ironie ici, cette phrase est plutôt grotesque qu’ironique. Grotesque et, encore une fois, sacrilège car l’amour est un dieu et en parler en ce termes comporte violer les principes de bases du sacré.