In Platonis Phaedrum Scholia: 237a6-b1

Muses, λὶγυς

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Σωκράτης
ἄγετε δή, ὦ Μοῦσαι, εἴτε δι᾽ ᾠδῆς εἶδος λίγειαι, εἴτε διὰ γένος μουσικὸν τὸ Λιγύων ταύτην ἔσχετ᾽ ἐπωνυμίαν, ‘ξύμ μοι λάβεσθε’ τοῦ μύθου, ὅν με ἀναγκάζει ὁ βέλτιστος οὑτοσὶ λέγειν, ἵν᾽ ὁ ἑταῖρος αὐτοῦ, καὶ πρότερον δοκῶν τούτῳ σοφὸς εἶναι, νῦν ἔτι μᾶλλον δόξῃ.

Socrate
Allez-y donc, Muses, soit que vous soyez mélodieuses pour la qualité du chant, soit que vous teniez cet appellatif du peuple musical des Ligures, attaquez-vous avec moi au mythe que cet homme excellent m'oblige à raconter, pour que, si avant il croyait déjà que son ami était sage, maintenant il le croie encore plus.

Platon, Phèdre, 237a6-237b1

Le discours de Socrate doit être différent de celui de Lysias. La première différence sera donc son incipit. Deux stratégies rhétoriques opposées: d’une part l’incipit in medias res de Lysias, de l’autre l’incipit très classique de Socrate, avec une invocation aux Muses. D’une part un discours qui ne donne pas de contexte, qui jette celui qui écoute au milieu de l’action, qui l’oblige à reconstruire le sens, à imaginer ce qui est en train de se passer, de l’autre un hymne religieux, qui commence par se positionner dans l’univers et dans le cosmos, à partir d’un appel aux divinités.

Socrate inscrit son discours dans une rhétorique dithyrambique: le dithyrambe était un hymne religieux en honneur de Dionysos - c’est le chant qui selon Aristote serait à l’origine de la tragédie et donc du genre poétique le plus noble et élevé. Socrate inscrit donc son discours dans une tradition de discours, une tradition longue et moins à la mode que les discours judiciaires à la Lysias.

Mais, encore une fois, les mots du philosophes sont empreints d’ironie: son dithyrambe est comique. Socrate a une attitude sacrilège - et c’est pour cela qu’il s’est enveloppé dans son manteau. Socrate en réalité est en train de blasphémer dès son premier mot. Il ose rire des Muses. Il le fait d’abord en jouant avec un de leurs épiclèses: λίγειαι (λὶγυς), mélodieuses. Pourquoi l’appelle-t-on ainsi, se demande Socrate? Peut-être parce qu’elle chantent bien - en effet, c’est une tautologie - ou alors parce qu’elles ont quelque chose à voir avec les Ligures (en grec: Λίγυες) - qui sont - mais qui l’a dit? - un peuple musical. Il s’agit clairement d’une comicité démentielle et potache, qui suscite le rire à cause du non sens du discours. Aristote, par ailleurs, cite cet incipit dans la Rhétorique comme exemple d’un langage faussement élevé utilisé à des fins comiques (Rhét, 1408b].

Le blasphème continue: on fait appelle aux Muses avec la conviction que le résultat sera un échec. Socrate affirme que de toute manière son discours sera inférieur à celui de Lysias; Les Muses mélodieuses ont donc moins de talent que Lysias. C’est de l’ironie, bien sûr, mais c’est une ironie sacrilège.

L’appel au sacré fait par Phèdre est donc détourné en comédie par Socrate. Dans ces premiers mots il viole tout ce qu’il peut y avoir de sacré, avec la seule excuse d’être “enveloppé”.

Muses, λὶγυς scholia