In Platonis Phaedrum Scholia: Metalegomena 237a5

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Une pause est maintenant nécessaire, avant d’écouter ce Socrate caché, enveloppé dans son manteau et invisible. Encore une fois la parole est suspendue, avant un nouveau discours. Et ici, en ce moment de suspension, nous pouvons réfléchir à ce qui vient de se passer.

Le discours de Lysias et les échanges entre Phèdre et Socrate qui l’ont suivi ont fait émerger une nouvelle série de (non-)oppositions. La plus évidente et explicite est celle entre mesure et démesure. Le discours de Lysias semblait fondé sur l’idée que tout est mesurable et quantifiable; il s’agit de mesurer, de compter les avantages pour décider quoi faire, même lorsqu’il est question d’amour. Phèdre semble encore être dans la mesure lorsqu’il explicite avec Socrate les caractéristiques que devra avoir son discours sur l’amour.

Peut-on compter l’amour? Peut-on le calculer? Une réponse un peu naïve consisterait à dire que Socrate - qui, nous le savons, doit toujours avoir raisons - est du côté d’un amour non mesurable, non quantifiable. Mais en réalité ce n’est pas le cas. Tout d’abord une lecture attentive du dialogue fait comprendre que Socrate n’a pas toujours raison. Réduire le dialogue à un traité socratique serait rater complètement la profondeur et la complexité du texte. Le dialogue - la forme dialogue - n’est pas un prétexte: c’est l’incarnation d’une pensée qui ne peut pas être réduite à une série de thèses. En second lieu Socrate n’est pas du côté de la démesure. Ou du moins, Phèdre l’est autant que lui, avec ses promesses exagérées. Socrate précise les conditions du contrat de Phèdre, en spécifiant qu’il y a des arguments nécessaires: il est en cela du côté du contrat, de la quantification. Et Phèdre ramène le mythe et les aspects sacrés dans le discours, avec son serment au nom du platane.

La conclusion est qu’il n,y a pas une opposition entre mesure et démesure, que les deux vont ensemble, ne font qu’un.

La même considération vaut pour les autres pseudo-oppositions, dont la première est celle entre matérialité et immatérialité. Et encore, la tension entre le hasard - qui ouvre le discours de Lysias - et la nécessité - qui semble s’imposer dans les dernières répliques et qui se révèle finalement une fausse nécessité. Le hasard des relations de Lysias cachent finalement la nécessité d’un principe de raison suffisante; les nécessités évoquées par Socrate ont au contraire quelque chose de profondément aléatoire - un argument serait nécessaire parce qu’il est fréquent et une personne serait contrainte parce qu’elle ne sait pas renoncer au plaisir d’écouter des discours…

Il n’y a pas d’opposition car la contradiction est inscrite dans la pensée dialogique. Il n’y a pas d’opposition parce que les pôles de ces oppositions sont fictifs, ils sont des inventions.

Et Socrate s’apprête ici en effet à faire un discours qui devrait dévoiler une vérité et qu’en réalité ne fait que la voiler encore plus. Socrate vient de promettre de montrer alors qu’il se prépare en réalité à cacher.

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