In Platonis Phaedrum Scholia: 237b2-4
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Σωκράτης
ἦν οὕτω δὴ παῖς, μᾶλλον δὲ μειρακίσκος, μάλα καλός: τούτῳ δὲ ἦσαν ἐρασταὶ πάνυ πολλοί.
Socrate
Il était une fois un enfant, ou plutôt un adolescent, très beau: celui-ci avait un grand nombre d'amoureux.
Platon, Phèdre, 237b2-237b4
Après son invocation comique, Socrate continue avec un ton caricatural: si Lysias n’avait donné aucun contexte pour son discours en commençant in medias res, Socrate exagère les détails et les précisions.
En premier lieu: de qui on parle? D’un enfant (παῖς)? Soyons précis: le mot παῖς est trop vague; en grec ce mot peut être utilisé pour se référer à des jeunes d’âges très différents, alors qu’ici on parle d’un âge précis: l’adolescence (μειπακίσκος). Le protagoniste est donc un adolescent car c’est à cet âge qu’on peut devenir un ἐρόμενος. On pourrait même citer Straton de Sardes pour avoir une idée plus précise de cet âge. Straton, dans une épigramme de sa Mouse garçonnière détaille les âges des ἐρόμενοι en expliquant à partir de quel âge et jusqu’à quel âge il est acceptable d’aimer un adolescent:
ἀκμῇ δωδεκέτους ἐπιτέρπομαι: ἔστι δὲ τούτου χὠ τρισκαιδεκέτης πουλὺ ποθεινότερος: χὠ τὰ δὶς ἑπτὰ νέμων, γλυκερώτερον ἄνθος Ἐρώτων τερπνότερος δ᾽ ὁ τρίτης πεντάδος ἀρχόμενος: ἑξεπικαιδέκατον δὲ θεῶν ἔτος: ἑβδόματον δὲ καὶ δέκατον ζητεῖν οὐκ ἐμόν, ἀλλὰ Διός. εἰ δ᾽ ἐπὶ πρεσβυτέρους τις ἔχει πόθον, οὐκέτι παίζει, ἀλλ᾽ ἤδη ζητεῖ ‘ τὸν δ᾽ ἀπαμειβόμενος.’
J’aime la verge du garçon de douze ans. Mais celle d’un garçon de treize est encore plus désirable; Celle d’un garçon dans le plein de ses quatorze ans est une encore plus douce fleur des Amours, encore plus désirable celle de celui qui entame sa quinzième année. La seizième année appartient aux dieux. La dix-septième ce n’est pas moi qui la cherche, mais Zeus. Si quelqu’un a du désir pour des garçons encore plus vieux, il ne joue pas mais il cherche déjà “celui qui lui répond”.
Straton, Anthologie grecque 12.4
L’ἐρόμενος peut donc avoir entre douze et dix-sept ans. Dépassés les dix-sep tans la relation n’est plus une relation pédérastique, mais elle devient une relation homosexuelle - qui n’était pas bien vue dans la société grecque ancienne. On peut sortir avec un jeune garçon avant qu’il ne devienne adulte. Straton insiste souvent sur l’apparition des poils comme moment où le jeune garçon ne peut plus être l’έρόμενος: il faut donc le quitter.
On pourrait faire une parenthèse en soulignant une analogie entre les textes de Straton et le discours de Socrate: les deux utilisent un langage élevé pour dire des choses comiques. Straton ouvre son oeuvre en invoquant Zeus et en citant Aratus. Ici dans l’épigramme 12.4, il cite Homère pour dire que, quand un enfant est trop âgé il devient un pair, il n’est donc plus possible d’avoir une relation pédérastique qui présuppose que l’έρόμενος soit un enfant et que l’ἐραστής soit un adulte.
En tout cas, dans cette caricature d’incipit, Socrate continue à donner des détails. Le jeune en question a donc entre douze et dix-sept ans et il est beau, ou plus précisément très beau: μάλα καλός. Lysias n’avait évidemment rien dit sur la beauté ou non du destinataire de son discours. Mais il est nécessaire que celui-ci soit beau, sinon pourquoi le désirer? Les causes qui permettront ensuite l’identification d’un principe de raison suffisante sont tout de suite déclarées ici. Le jeune est donc beau et désirable. Et, autre condition pour comprendre la situation du discours et ses objectifs, ce jeune a beaucoup d’amoureux. S’il en avait un seul, en effet, la question du choix ne se poserait pas.
Socrate a donc explicité tout ce qui, dans le discours de Lysias, restait implicite. Mais était-ce nécessaire de tout expliciter? Socrate a un peu l’air du bon élève un peu bête ici: Lysias avait fait deviner tout ce contexte, sans besoin de le détailler. Socrate a quelque chose de pédant et surtout il commet le même péché de Lysias et Phèdre: il est dans la mesure, dans une précision presque mathématique et finalement caricaturale.