In Platonis Phaedrum Scholia: 237a1-5

ἐγκαλύπτω, αἰσχύνη

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Φαῖδρος
λέγε δή.
Σωκράτης
οἶσθ᾽ οὖν ὡς ποιήσω;
Φαῖδρος
τοῦ πέρι;
Σωκράτης
ἐγκαλυψάμενος ἐρῶ, ἵν᾽ ὅτι τάχιστα διαδράμω τὸν λόγον καὶ μὴ βλέπων πρὸς σὲ ὑπ᾽ αἰσχύνης διαπορῶμαι.
Φαῖδρος
λέγε μόνον, τὰ δ᾽ ἄλλα ὅπως βούλει ποίει.

Phèdre
Parle donc!
Socrate
Tu sais ce que je vais faire?
Phèdre
À propos de quoi?
Socrate
Je parlerai couvert, pour passer plus rapidement à travers le discours et pour que, sans te regarder, je ne sois pas pris par la honte.
Phèdre
Il suffit que tu parles, pour le reste, fais comme tu veux.

Platon, Phèdre, 237a1-237a5

Phèdre a gagné. Maintenant il faut parler. Les préliminaires sont finis et on passe à l’action. Socrate doit se mettre à nu, il doit arrêter son jeu de promesse et attente pour finalement se donner. Parle donc!

Mais Socrate est malin et il est finalement capable de faire tout le contraire de ce qu’on lui demande, sans même pas que Phèdre s’en aperçoive: tu sais ce que je vais faire? Phèdre ne saisit pas l’importance de la petite clause que Socrate ajoute subrepticement au contrat. Phèdre se fait finalement avoir. Non, il n’a pas bien appris la leçon de Lysias, les termes de son contrat semblaient clairs, mais Socrate ajoute quelque chose qui d’apparemment anodin mais qui ne l’est pas. Il s’agissait de se mettre à nu et Socrate ajoute une clause qui dit qu’il sera “enveloppé” (ἐγκαλύπτω). Souvent ce passage est traduit “je parlerai avec la tête couverte”, mais cela n’est pas dans le texte. Le fait que Socrate se couvre juste la tête est extrapolé de la suite du dialogue (243b5) où Socrate introduit sa palinodie en disant que son second discours sera fait “la tête nue et non, comme toute à l’heure enveloppé à cause de la honte” (γυμνῇ τῇ κεφαλῇ καὶ οὐχ ὥσπερ τότε ὑπ᾽ αἰσχύνης ἐγκεκαλυμμένος). Mais il faut noter que le participe ἐγκεκαλυμμένος (enveloppé) se réfère à Socrate et non à sa tête. Le verbe ἐγκαλύπτω signifie vraiment envelopper - par exemple s’envelopper dans une couverture. J’imagine donc que Socrate s’enveloppe dans son manteau en se couvrant complètement - y compris sa tête, en effet. De cette manière il devient invisible; il fait exactement le contraire de ce qu’on lui demande. Au lieu de se mettre à nu, au lieu de laisser de côté la pudeur pour se donner dans le rapport amoureux et érotique, Socrate se couvre complètement, il se refuse absolument.

C’est la honte (αἰσχύνη), la pudeur qui sont la cause de cet acte. Une honte et une pudeur par rapport à Phèdre, sans doute - on reste dans le jeu de séduction - mais aussi, et surtout, par rapport au discours lui-même et à son statu. L’évocation du lieu sacré, du platane et des implications mythiques qu’il porte font en sorte que Socrate sent une nécessité de vérité. Le contexte exige un discours vrai. Mais d’autres éléments du contexte - la compétition avec Lysias, le jeu avec Phèdre - demandent au contraire un autre type de discours.

L’ambiguïté revient et complique la situation: Socrate doit faire deux discours contradictoires. La contradiction est encore là, la même contradiction que Socrate résout normalement avec son ironie qui lui permet de dire une chose et son contraire. Mais là il n’y a plus d’ironie possible: il faut parler et assumer son discours. Pour ce faire, et pour faire en sorte de pouvoir continuer à habiter la contradiction, Socrate trouve un autre expédient: celui de se cacher. De cette manière à la fois ça sera lui et ça ne sera pas lui le responsable du discours.

Encore une fois nous sommes devant la question: qui parle? Qui pense? Est-ce vraiment Socrate? Ou quelqu’un - ou quelque chose - d’autre?

Phèdre n’a rien compris de ces finesses. Il croit que l’important seront juste les paroles. Parle et fais ce que tu veux pour le reste. Mais “le reste” (τὰ δ᾽ ἄλλα), comme toujours, est ce qu’il y a de plus important.

ἐγκαλύπτω, αἰσχύνη scholia