In Platonis Phaedrum Scholia: 242d4

λόγος, δεινός, ὕβρις, mesure, démesure

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Σωκράτης
δεινόν, ὦ Φαῖδρε, δεινὸν λόγον αὐτός τε ἐκόμισας ἐμέ τε ἠνάγκασας εἰπεῖν.
Φαῖδρος
πῶς δή;

Socrate
Horrible, Phèdre, horrible discours est le discours dont tu t'es chargé et celui que tu m'as obligé à faire.
Phèdre
Et comment?

Platon, Phèdre, 242d4-242d4

Le discours est horrible: δεινός. C’est l’adjectif utilisé par Homère pour décrire Charybde:

αὐτὰρ ἐπεὶ πέτρας φύγομεν δεινήν τε Χάρυβδιν

Odyssée 12,260.

Charybde est horrible car monstrueuse et divine. Δεινός est l’adjectif qui signifie la terreur provoquée par la démesure. On va au delà des limites, on franchit les frontières de l’humain et on devient monstrueux, horrible et démesuré. Δεινός est ce que devient celui qui a péché de ὕβρις.

Mais le jeu entre mesure et démesure est loin d’être si simple. Nous l’avons vu: Phèdre et Socrate jouent à dépasser les bornes tout en demandant à l’autre de les respecter. Et en effet, la signification de δεινός est aussi ambigüe: car dépasser la mesure imposée pour les humains est une faute, mais aussi rend grand, admirable. L’homme qui pèche de ὕβρις devient finalement semblable à un dieu. Le blasphème est à la fois horrible, terrible et admirable, divin.

Hérodote utilise de cette manière l’adjactif, quand il parle d’un “homme terrible et sage”: ‘ὦ βασιλεῦ, κοῖόν τι χρῆμα ἐποίησας, ἀνδρὶ Ἕλληνι δεινῷ τε καὶ σοφῷ δοὺς ἐγκτίσασθαι πόλιν ἐν Θρηίκῃ’ - “Roi, qu’as-tu fais? Tu as permis à un grec terrible et sage de construire une ville en Thrace…” Her. 5.23.

L’expression ‘σοφὸς καὶ δεινός ἀνήρ’ (homme sage et terrible) semble être presque une expression figée en grec. Platon l’analyse dans le Protagoras(341a et ss) où il se demande justement pourquoi on utilise un adjectif au sens négatif pour caractériser quelque chose de positif - comme en français “terriblement beau”, par exemple.

Mais cette expression figée cache un sens bien profond: en péchant de ὕβρις on commet quelque chose d’horrible, mais en même temps on s’élève au dessus de notre propre condition pour la transcender. Le mesure c’est bien, mais la démesure est horrible et sublime.

L’éloge de la mesure est sans doute authentique ici. On l’a vu répété à plusieurs reprises, déjà en parlant de la brise modérée qui caractérise le lieu. Il est clair que pour Socrate il est nécessaire de respecter sa propre nature, de rester dans les bornes, de ne pas déséquilibrer l’harmonie du cosmos en violant les règles. Mais reste quelque chose de l’admiration pour ceux qui ont le courage de transgresser les limites. Prométhée, Ulysse… des hommes qui ont péché de ὕβρις mais qui sont admirables.

Dans tout cela, Phèdre est encore à l’ouest: πῶς δή; Quoi? Comment? Sa fonction est juste de donner la réplique à Socrate, bien sûr, mais ici cela devient presque comique. Il n’a rien compris, il tombe des nues.

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