In Platonis Phaedrum Scholia: 245c2-4
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Σωκράτης
δεῖ οὖν πρῶτον ψυχῆς φύσεως πέρι θείας τε καὶ ἀνθρωπίνης ἰδόντα πάθη τε καὶ ἔργα τἀληθὲς νοῆσαι: ἀρχὴ δὲ ἀποδείξεως ἥδε.
Socrate
Il faut donc d'abord comprendre la vérité à propos de la nature de l'âme divine et humaine en regardant ses passions et ses oeuvres. Et voilà le début de notre démonstration.
Platon, Phèdre, 245c2-245c4
Au début de son premier discours, Socrate avait expliqué la méthodologie sur laquelle repose une bonne argumentation: avant de commencer il faut donner une définition de ce dont on parle. Il avait donc proposé une définition de l’amour.
Reprenant le même schéma et la même logique, il semblerait qu’ici, avant de rentrer dans la démonstration, il faut donner des définitions et comprendre le sens des termes impliqués. On a parlé de manie, de sagesse, de tempérance…
D’où sort l’âme? Le saut logique et thématique est assez surpenant. Dans le dialogue il n’a - presque - jamais été question de ψυχή. Pourquoi donc s’occuper d’elle maintenant? On peut deviner le lien entre amour et âme, mais ce lien n’a jamais été spécifié. Cela signifie certes que la relation - et donc le rôle de l’âme dans l’affaire - est tellement évidente pour la culture grecque de l’époque, qu’il n’est même pas nécessaire de l’expliciter: l’idée est que l’amour affecte l’âme. Il faut donc parler de l’âme pour comprendre comment elle est affectée.
Mais non seulement cette idée n’est pas évoquée avant dans le dialogue, mais aussi le mot âme est utilisé très peu, seulement trois fois.
Socrate en concluant son premier discours avait utilisé le terme pour dire que celui qui aime est nuisible “πρὸς τὴν τῆς ψυχῆς παίδευσιν”. Mais il est là question d’éducation de l’âme faite par l’aimant et non pas d’effets de l’amour sur l’âme.
Socrate a ensuite mentionné l’âme pour dire qu’elle a un pouvoir divinatoire: μαντικόν γέ τι καὶ ἡ ψυχή. Le lien avec ce qu’intéresse ici est un peu plus fort, mais pas explicite. On a parlé de la mantique, en effet, mais on a dit que la manie s’empare des personnes - et de leur âme? Faut-il le déduire? - mais le lien entre manie et âme n’a jamais été effleuré.
Pour finir le mot ψυχή a été utilisé pour parler de la manie qui vient des Muses qui s’empare des âmes douces et délicates: λαβοῦσα ἁπαλὴν καὶ ἄβατον ψυχήν. Mais ici aussi la référence à l’âme est une parenthèse, même si c’est le seul endroit où on parle du fait que l’âme est l’objet dont la passion s’empare - et ici c’est la manie.
Bref, le terme qui fera l’objet d’une longue analyse et qui est même considéré comme le terme central du dialogue est introduit très tard et sans aucune explication.
Par ailleurs, un autre détail peut surprendre: il est question ici d’âme humaine et divine. Mais pourquoi s’occuper de l’âme divine? On parle bien d’amour entre des êtres humains, pourquoi donc s’interroger sur l’âme divine? Et qu’est-ce que l’âme divine?
L’ouverture de cette démonstration si centrale déstabilise, laisse désorienté. C’est dans un état de confusion qu’on va suivre la structure logique qui suit. Est-ce la confusion de la manie?
En tout cas une autre tension s’impose, entre l’état de confusion où nous met le discours et la logique que Socrate annonce: l’ἀποδείξις qui devrait en principe être une démonstration au sens mathématique du mot.