In Platonis Phaedrum Scholia: 237b9-c1
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Σωκράτης
περὶ παντός, ὦ παῖ, μία ἀρχὴ τοῖς μέλλουσι καλῶς βουλεύσεσθαι: εἰδέναι δεῖ περὶ οὗ ἂν ᾖ ἡ βουλή, ἢ παντὸς ἁμαρτάνειν ἀνάγκη.
Socrate
Cher enfant, il y a un principe pour prendre des bonnes décisions sur n'importe quel sujet: il faut connaître ce sur quoi porte la décision ou alors il sera inévitable de se tromper.
Platon, Phèdre, 237b9-237c1
Commence donc le discours du faux non amoureux. Réfléchissons d’abord sur le niveau d’imbrication des discours ici: nous sommes en train de lire un dialogue de Platon. Dans ce dialogue il y a un personnage, Socrate, qui parle. Ce personnage propose un discours dans lequel il y a une narration. Dans cette narration il y a un personnage qui parle et qui nous délivre son idée d’amour. On n’est pas loin de la superposition de niveaux narratifs du Banquet où un personnage raconte un dialogue que quelqu’un lui a raconté dans lequel parlent des personnages qui racontent des histoires dans lesquelles d’autres personnages donnent leur idée de l’amour - c’est à ce niveau qu’on trouve l’idée d’amour de Diotime, relatée par Socrate.
Pourquoi s’éloigner autant du λόγος original? Pourquoi le Socrate qui dans le même dialogue fera l’éloge de la présence de la parole contre l’absence de l’écriture insiste autant sur le nombre élevé d’éléments de médiations nécessaires pour qu’un discours soit reporté? Certes, Socrate a intérêt à prendre les distance de cette prise de parole, mais finalement le blasphème le plus sacrilège il l’a prononcé directement, au début de son discours. Ce qui est livré par ce personnage est finalement beaucoup moins blasphématoire que l’incipit et l’invocation aux Muses. Le contexte qui explicite les raisons du parlant l’absolvent finalement de toute accusation possible: son discours est une ruse pour obtenir quelque chose et finalement pour atteindre son but, le parlant se servira d’arguments somme toute légitimes - on en retrouvera un bon nombre dans la palinodie qui suivra.
Les multiples médiations représentées ici ne peuvent que renforcer la conscience d’une pensée matérielle qui émerge dans un contexte complexe et qui n’est jamais “immédiate” mais toujours issue d’une multiplication de forces médiatrices.
C’est dans cette situation hypermédiée qu’apparaît une première affirmation au goût fortement platonicien: il faut connaître l’essence des choses avant d’en parler.
Ce métaincipit, cet incipit d’un discours dans le discours, imite la mise en contexte précise et presque pédante de l’incipit du discours de Socrate. Il est question tout d’abord de poser le principe, l’ἀρχὴ. ἀρχὴ signifie à la fois principe et commencement. On commence avec un principe, la règle universelle à partir de laquelle doit découler n’importe quel raisonnement. Ce principe, ce commencement, est l’οὐσία: l’essence (le mot sera utilisé dans la phrase suivante).
Ce principe est nécessaire: l’ἀνάγκη revient encore, mais cette fois il s’agit d’une nécessité ontologique. Il est intéressant de souligner que la nécessité est ici présenté en négatif: si on ne respecte pas le principe, il sera nécessaire de se tromper. Cette nécessité est profonde, absolue et elle n’a rien à voir avec les autres choses inévitables dont il a été question dans les répliques précédentes.
L’incipit commence donc par le commencement premier. Mais n’est-ce pas étrange de placer ce principe universel si primordial ontologiquement au milieu du dialogue et au milieu du discours de Socrate - et en plus du “faux” discours, celui que Socrate ensuite rétractera? Quelle est la place d’une vérité si élémentaire et si essentielle dans ce contexte du dialogue?