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Pompéi, la ruine des ruines.

À la suite de l’effondrement de la Schola Armaturarum de Pompéi en novembre 2010, l’émotion a été vive. Si ce fâcheux événement ne se révéla être une surprise pour personne, tant les travaux de conservation ne respectaient en rien le cahier des charges qu’impose la charte de Venise, le malaise suscité par l’effondrement d’un monument classé au patrimoine mondial de l’humanité a mis en lumière la faillite de la politique culturelle italienne.
Et pourtant l’Italie, outre le fait d’avoir un patrimoine culturel exceptionnel avec ses 49 sites inscrits à l’UNESCO, est le seul pays dans lequel la préservation du patrimoine historique et artistique fait partie des principes fondamentaux de la Constitution…

 À l’heure où l’Europe toute entière traverse une crise financière qui a coûté à l’Italie sa stabilité gouvernementale, il semble difficile de mettre en place des solutions.
En effet, quatre gouvernements et cinq ministres de la culture se sont succédés depuis l’effondrement de la Schola Armaturarum et il aura fallu attendre 2013 pour que soit mis en place un plan de 105 millions d’Euros (financé à 40% par l’Union Européenne). On pourrait se réjouir de ce projet d’envergure, mais il convient de nuancer la chose en mettant en perspective les erreurs qu’il cristallise.

 En Décembre 2013, le gouvernement italien annonce la nomination du gestionnaire de ce fond : Giovanni Nistri, dont la compétence en matière de restauration est, disons-le, inexistante. Étant officier de Carabiniers, c’est son statut de militaire qui fut sa principale qualité retenue. Si cette nomination n’a créé aucun scandale, c’est à cause de la forte implantation de la Camorra dans la région de Naples (où se trouve Pompei), implantation qui a causé le scandale « Marcello Fiori », du nom de l’ancien préfet chargé de la conservation accusé de détournement de fond, d’escroquerie contre l’État. Une affaire qui symbolise à la fois les années Berlusconi et la gestion désastreuse du patrimoine italien.

Pour éviter un nouveau scandale et assurer à l’Union Européenne la bonne gestion de ses subsides, la probité d’un militaire comme Nistri était un symbole fort. On pourrait ici pousser l’analyse en y voyant un échec du MIBAC (Ministère des biens et des activités culturelles), incapable de présenter un homme compétent à la tête de ce projet.
De plus, la part de la participation italienne dans le financement de ce projet provient du détournement des fonds d’un autre projet intitulé « Attrattori culturali, naturali e turismo » qui visait à soutenir les sites culturels dans tout le Sud de l’Italie ; au risque d’aggraver l’engorgement d’un site comme Pompéi et la désertification de tout le reste du pays -et c’est là un des problèmes sur lesquels l’Italie doit également se pencher.

En effet, la (très) récente sous-secrétaire du MIBAC, Ilaria Borletti Buitoni, proposait la solution suivante : valoriser le patrimoine italien pour désengorger certains sites, mettant ainsi en avant le tourisme comme indéniable moteur de l’économie (un aspect que l’on retrouve clairement dans le rapport de février 2014 publié par Ferderculture -Fédération des entreprises et des organismes de gestions de la culture, du tourisme, du sport et des loisirs, en Italie).
Un réseau d’institutions disposées à mettre en valeur le territoire, assurer l’accueil des touristes ainsi que la tutelle et la protection des sites concernés, serait alors créé. Cette même valorisation du territoire est d’ailleurs abordée dans une seconde étude publiée en février 2014 par Federculture, s’intéressant aux formes de partenariats publics/privés qui viseraient à assigner aux provinces et régions un rôle majeur. Tout cela convergerait ainsi vers un projet commun à toute l’Italie et qui aurait pour but de promouvoir la beauté du pays dans son ensemble, car comme on l’a dit : nul besoin d’un tourisme de masse dans les grandes villes italiennes comme Rome, Venise ou Florence, qui suffoquent déjà -il suffit de penser à Venise et à ces énormes paquebots de croisière qui la frôlent chaque jour au risque de la détruire.
Ne faudrait-il donc pas voir ici une incitation à développer toutes les facettes du tourisme en Italie ?

Conscient de cette problématique, le ministère de la culture a accolé à son titre le mot tourisme en 2013, devenant le « Ministero dei beni e delle attività culturali e del turismo ». Pourtant aucune réforme n’a été faite pour simplifier et assainir la complexité de son organisation.

En effet, alors que l’Opificio delle Pietre Dure (institut de recherche scientifique et de restauration d’œuvres d’art) et l’Istutito centrale per la conservazione ed il restauro [Institut central pour la conservation et la restauration] devraient collaborer avec la Direzione Generale per le Antichità [Direction Générale des Antiquités] dans le cadre d’un dossier comme celui de la restauration de Pompei, elles ne sont pas placées sous la même autorité. Qui plus est, la Direction générale des antiquités possède un surintendant des biens archéologiques de Pompei et un conseil d’administration ainsi qu’une délégation du ministère des finances. On remarquera aussi qu’au sein de ce comité il n’est pas fait mention du nom de Nistri, bien qu’il soit annoncé en grande pompe comme responsable du projet de restauration et conservation du site de Pompéi.
La complexité et le cloisonnement du ministère de la culture italien est d’ailleurs bien visible grâce à la loi de transparence du 14 Mars 2013, chacun pouvant consulter les divers échelons et affectations du MIBAC.

 Alors que de tels problèmes structurels (corruption et organisation kafkaïenne) suffisent à dresser un constat alarmant de la politique culturelle italienne, on peut également évoquer le cas très symptomatique d’Antonio Manfredi, qui en 2010 avait brûlé une œuvre de son musée de Casoria (près de Naples) pour protester contre la baisse générale des subvention à la culture.
En effet depuis 2010 le MAXXI de Rome (musée d’art contemporain) a été placé sous tutelle et a vu sa subvention de la part de l’État amputé de 43%. Le fond chargé de financer le théâtre a vu la moitié de son budget disparaître. Même la célébrissime Scala de Milan a perdu 17 millions d’euros de subvention provenant de l’État italien.

Pour tenter de trouver des solutions il faudrait donc, comme le suggère vivement le rapport de Federculture cité plus haut, se tourner vers les partenariats privés.
En France, par exemple, la rénovation de la galerie d’Apollon au Louvre a vu l’entreprise Total apporter 4.5 millions d’Euros sur les 5.2 millions nécessaire à l’opération.

Et alors que l’Italie souffre d’un ralentissement de la croissance, on s’aperçoit que le secteur du luxe, lui, reste toujours prospère. En 2013 il représente 12% de l’industrie, 24% des exportations, 2% du PIB après une hausse de 8% en 8 ans, et un chiffre d’affaires qui double tous les dix ans (*). On pourrait donc y voir une source de financements à solliciter car les partenariats public/privé avec ce secteur qui a besoin d’une forte image de marque devraient devenir la norme dans un pays où l’État choisit de diminuer sa contribution à la culture -et c’est d’ailleurs sans surprise que le MIBAC a annoncé une réduction du budget pour les trois ans à venir (2014-2016).
Cette solution semble être la plus viable et la plus rapide à mettre en place en attendant des réformes structurelles car la situation est urgente, le 18 mars 2014 on signale le vol d’une fresque à Pompei et l’UNESCO souligne le danger que représente la construction d’un ensemble immobilier à proximité de la Villa d’Hadrien à Tivoli.

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