Article
0 comment

Aspects de la théorie syntaxique de Noam Chomsky, lecture par Samir BOUALI

Résumé du livre : Aspects de la théorie de la théorie syntaxique aborde la théorie classique de la grammaire générative. Chomsky présente dans ce livre la grammaire transformationnelle, mais de manière plus étendue. Tout d’abord, on trouve la réalité psychologique du langage, la grammaire générative, la compétence et la performance ainsi que l’apprentissage de la langue comme un développement innée. Puis, dans le reste des chapitres, Chomsky présente en détail, en utilisant de nombreux exemples, des techniques spécifiques au sein de la grammaire générative. L’objectif principal et essentiel de cet ouvrage est de proposer une reformulation de la théorie de la grammaire générative-transformationnelle. L’accent dans cette étude est la syntaxe. Les aspects sémantiques et phonologiques de la structure du langage ne sont discutés que dans la mesure où ils portent sur la théorie syntaxique. Chomsky nous permet grâce à ce livre de mieux comprendre la structure du langage du point de vue syntaxique. Cet ouvrage est une référence dans l’histoire de la grammaire générative qui est devenue une théorie complète du langage en intégrant également l’étude du sens (la sémantique) et l’étude des sons (la phonologie), à côté de la composante syntaxique.

Auteur: Noam CHOMSKY.
Titre original:  Aspects of the Theory of Syntax.
Date de publication: 1965 pour l’original en anglais.1971 pour la traduction en français.
Édition: Seuil.
nombre de pages : 273 pages.

Biographie de l’auteur : Avram Noam Chomsky est né le 7 décembre 1928 à Philadelphie en Pennsylvanie. C’est un linguiste américain, un philosophe, un scientifique cognitif, un logicien, un commentateur politique et un activiste social. Il est professeur de linguistique au Massachusetts Institute of Technology. Il a écrit de nombreux livres dont Aspects de la théorie syntaxique. Chomsky est considéré comme le fondateur de la grammaire générative et transformationnelle. Il est également célèbre pour son engagement politique et se définit lui-même comme un anarchiste socialiste. En 2011, il s’est notamment engagé pour le mouvement Occupy.

 

 La théorie de la grammaire générative, les universaux et l’adéquation explicative

Qu’est-ce qu’une grammaire générative ?

C’est un système de règles qui assigne une description structurale à des phrases, d’une façon explicite et bien définie. C’est un système de règles qui peut être répété pour produire un nombre indéfiniment grand de structures.

La grammaire générative est selon Chomsky la capacité de produire un nombre infini de phrases grammaticales en utilisant uniquement des moyens finis.

L’objectif de la grammaire générative est de comprendre l’organisation de l’acquisition des connaissances permettant au locuteur-auditeur de formuler un ensemble infini de phrases.

Elle porte son observation sur les compétences et non sur la performance. Ainsi, elle tente d’expliquer les règles que le locuteur applique de façon intuitive. Nous verrons plus loin ce que signifie la compétence et la performance selon Chomsky.

La grammaire générative tente de déterminer ce que le locuteur sait, non pas ce qu’il peut relater de sa connaissance. Ce n’est pas un modèle du locuteur ou de l’auditeur. Elle essaye de caractériser de la façon la plus neutre la connaissance de la langue. La connaissance d’une langue c’est la capacité de comprendre un nombre indéfini de phrases.

Les composants d’une grammaire générative

Chomsky décrit dans son ouvrage qu’il existe trois composants principaux d’une grammaire générative permettant de produire et d’engendrer un nombre indéfiniment grand de structure :

1) le composant syntaxique qui est un ensemble infini d’objets formels abstraits, dont chacun contient toute l’information nécessaire à l’interprétation unique d’une phrase particulière. Autrement dit, le composant syntaxique va correspondre aux systèmes des règles qui définissent les phrases permises dans une langue donnée. Ce composant étant composé de deux parties : la base et les transformations.

2) le composant phonologique qui détermine la forme phonétique d’une phrase engendrée par les règles syntaxiques. Autrement dit, les composants phonologique et phonétique correspondent aux systèmes de règles qui permettent de transformer les phrases conçues par le composant syntaxique en une séquence de sons.

3) le composant sémantique correspond aux règles qui définissent l’interprétation des phrases générées par le composant syntaxique. Comme l’exemple que Chomsky donne : « d’incolores idées vertes dorment furieusement », au niveau syntaxique la phrase est correcte, mais pas au niveau sémantique.

Selon Chomsky, « le composant syntaxique d’une grammaire générative correspond aux règles qui caractérisent les séquences bien formées d’unités syntaxiques minimales et qui assignent une information structurale de nature diverse à ces séquences. La grammaire d’une langue se propose d’être une description effective intrinsèque du locuteur-auditeur idéal ».

Si la grammaire fournit une analyse explicite de l’activité que le lecteur intelligent déploie alors c’est une grammaire générative.

Une grammaire adéquate indique à chaque élément d’un ensemble infini de phrases une description structurale montrant comment cette phrase est comprise par le locuteur-auditeur idéal.

Selon Chomsky, « la linguistique descriptive et la grammaire traditionnelle sont défectueuses au niveau de la syntaxe, car elles ne fournissent pas des règles génératives. L’une des qualités communes à toutes les langues est leur aspect créateur ».

La grammaire d’une langue doit être complétée par une grammaire universelle. Cependant, la linguistique moderne a rejeté l’étude de la grammaire universelle.

Selon l’expression de Humboldt, « faire un usage infini de moyens finis ».

Il y a d’après Chomsky deux sens pour justifier une grammaire générative :

1) l’adéquation descriptive : c’est une grammaire qui sert à décrire son objet, l’intuition linguistique du sujet parlant.

2) l’adéquation explicative : c’est une grammaire de système descriptivement adéquat réglé par des principes. L’adéquation n’est explicative que si elle donne une base générale permettant d’expliquer l’intuition linguistique du locuteur.

 

Les universaux

Qu’est-ce que l’étude des universaux linguistiques ? C’est l’étude des propriétés de toute grammaire générative d’une langue naturelle. Elles peuvent concerner les composants syntaxique, sémantique, phonologique ou les relations qu’ils entretiennent.

Selon Chomsky, les universaux se divisent en deux parties :

1) Les universaux de substance sont les éléments particuliers de toute langue et doivent provenir d’une classe déterminée. On peut citer par exemple la théorie de Jakobson dans laquelle il déclare que tout élément phonétique produit est défini par des traits phonétiques universels décrivant les éléments physiques de notre système articulatoire.

2) Les universaux de forme sont la propriété d’avoir une grammaire remplissant une certaine condition abstraite. Ils mettent le caractère des règles et apparaissent dans les grammaires et la façon dont elles peuvent être liées.

Chomsky veut que toute grammaire de n’importe quelle langue soit une théorie linguistique générale. C’est-à-dire qu’elle doit fournir une théorie phonétique (établir une liste des traits phonétiques possibles et des listes de combinaisons possibles entre ces traits), sémantique (établir une liste de concepts et de traits sémantiques possibles) et syntaxique générale (établir la liste des relations grammaticales de base et la liste des opérations de transformation qui permet de créer toutes les phrases) afin de s’inscrire dans le cadre des universaux de langage.

Chomsky considère que si l’enfant ne possédait pas à sa naissance une connaissance sous-entendu de ces universaux, alors il lui serait impossible d’apprendre une langue. La tâche n’est réalisable que s’il s’agit pour l’enfant de reconnaître la forme que ces universaux peuvent prendre dans la langue qu’il souhaite acquérir. La grammaire universelle concerne toutes les langues et non une seule langue. Selon Chomsky, c’est à l’enfant d’adapter la grammaire à la langue qu’il est en train d’apprendre. L’objectif de la grammaire générative est de fixer et fournir des théories universelles pour chacune des composantes de la grammaire. Il pense aussi que la théorie du langage devrait se préoccuper des universaux de forme et de substance.

Remarque complémentaire sur les théories descriptives et explicatives

« Celui qui veut comprendre la structure linguistique doit essayer à chaque étape d’atteindre l’adéquation explicative même s’il n’a pas atteint l’adéquation descriptive. Il n’est pas nécessaire d’atteindre l’adéquation descriptive pour se poser les questions d’adéquation explicative ».

« Nous sommes loin de pouvoir présenter un système d’universaux linguistiques de forme et de substance qui soit assez riche et détaillé pour rendre compte des faits touchant l’apprentissage linguistique ».

« Pour se rapprocher de la théorie linguistique de l’adéquation explicative il faudrait raffiner la mesure d’évaluation des grammaires ou de resserrer les contraintes formelles ».

« Chaque fois que cela est possible, il faudrait formuler des hypothèses de travail générales touchant la nature du langage, à partir desquelles on pourra déduire des traits particuliers pour les grammaires des diverses langues particulières. De cette façon, la théorie linguistique pourra se rapprocher de l’adéquation explicative et contribuer à l’étude des processus mentaux et de la capacité intellectuelle de l’homme ».

 

Acquisition du langage

Chomsky donne l’exemple d’un enfant qui a appris une langue et a développé la représentation interne d’un système de règles qui détermine la manière dont les phrases doivent être formées, employées et comprises. Un enfant doit être en mesure « d’inventer » une grammaire générative. L’enfant n’est pas prédisposé à apprendre une langue plutôt qu’une autre.

Il faut, selon Chomsky, proposer à la linguistique générale le soin de rendre compte de cette théorie linguistique innée qui fournit la base de l’apprentissage linguistique.

Chomsky mentionne un autre objectif pour la théorie linguistique : « La théorie linguistique doit pouvoir décrire comment un enfant humain normal maîtrise les complexités de sa langue maternelle à un si jeune âge. Et comment les enfants du monde entier maîtrisent des langues extrêmement différentes les unes des autres en termes de vocabulaire, ordre des mots et constructions morphosyntaxiques ». Chomsky essaye de nous montrer à travers cet exemple que l’enfant possède dès sa naissance des capacités innées qui lui permettent de construire des phrases complexes qu’il n’avait jamais entendu auparavant. Selon Chomsky, « pour qu’une théorie linguistique soit justifiée par des « raisons internes » et qu’elle atteigne une « adéquation explicative », elle doit montrer comment le cerveau d’un enfant, lorsqu’il est exposé à des données linguistiques primaires, utilise des capacités ou des stratégies comme un ensemble de principes appelé « grammaire universelle » et sélectionne la grammaire correcte de la langue sur de nombreuses autres grammaires compatibles avec les mêmes données ».

En somme, Chomsky montre que l’esprit du bébé humain est doté d’une grammaire possible, d’une méthode de construction de grammaires basée sur les données linguistiques auxquelles l’enfant est exposé. L’esprit de l’enfant construit un nombre de grammaires possibles qui sont cohérentes avec les données linguistiques, puis l’enfant sélectionne la grammaire avec le moins de règles.

Compétence vs performance, terme acceptable vs phrase acceptable et l’adéquation descriptive

Chomsky fait la distinction entre la compétence et la performance. En effet, selon lui, « la compétence est la connaissance que le locuteur-auditeur a de sa langue ». En d’autres termes, la compétence correspondrait plus à la grammaire intériorisée par le sujet parlant et entendant.

En ce qui concerne la performance, c’est selon Chomsky « l’emploi effectif de la langue dans des situations concrètes ». C’est-à-dire que la performance correspond à l’utilisation réelle du langage dans une situation concrète. Autrement dit, la performance se réfère plus à l’utilisation que fait le sujet de cette grammaire quand il communique, quand il parle ou écoute des éléments de langage.

Chomsky penche plus vers une théorie de la performance dans son ouvrage.

Il fait aussi une distinction entre un « terme acceptable » et des « phrases acceptables ». Il dit « qu’un terme acceptable sert à désigner les énoncés qui sont parfaitement naturels, immédiatement compréhensibles sans analyse écrite ». Pour lui, des phrases acceptables sont celles qui ont le plus de chances d’être produites ou utilisées, celles qui sont le plus facilement comprises et plus naturelles. En somme, un terme ou des phrases acceptables se concentrent plus sur l’aspect du locuteur natif et non sur la syntaxe ou la grammaticalité. L’essentiel est de se faire comprendre.

En revanche, Chomsky précise qu’il ne faut pas que la notion d’« acceptable » soit confondue avec celle de « grammatical ». En effet, l’acceptabilité est un concept appartenant à l’étude de la performance, alors que la grammaticalité est un concept appartenant à l’étude de la compétence.

Enfin, Chomsky démontre « qu’il existe peu d’expérimentations fiables afin d’obtenir une information claire, révélatrice concernant l’intuition linguistique du sujet parlant ». En effet, comment faire pour obtenir des informations sur la compétence du locuteur-auditeur et sur sa connaissance de la langue ? Il dit « qu’il serait bénéfique d’étudier des modèles de performance incorporant une grammaire générative ».

L’adéquation descriptive

L’adéquation descriptive c’est, selon Chomsky, « une grammaire qui décrit son objet, l’intuition linguistique du sujet parlant du locuteur natif ». Elle décrit les données observées en ce qui concerne les généralisations qui sont pertinentes et qui expriment les régularités cachées de la langue

Une théorie linguistique est adéquate si elle fournit une grammaire descriptivement adéquate pour chaque langue naturelle. « La théorie linguistique concerne avant tout un locuteur idéal, dans une communauté de discours complètement homogène, qui connaît parfaitement son langage et n’est pas affecté par des conditions grammaticales non pertinentes comme les limitations de la mémoire, les distractions, les changements d’attention et les erreurs dans l’application de sa connaissance de la langue dans la performance réelle ».

Néanmoins, la grammaire d’une langue est une description du locuteur idéal (compétence intrinsèque de l’auditeur). Cette compétence latente est un système de processus génératifs. Une grammaire adéquate devrait recueillir les régularités fondamentales et la nature productive d’une langue. Chomsky appelle cela « l’adéquation descriptive » de la théorie linguistique car elle décrit correctement son objet, à savoir l’intuition linguistique, la compétence implicite du locuteur natif. Ainsi, la grammaire est attestée par des raisons externes, pour des raisons de correspondance avec le fait linguistique.

 

La théorie de la syntaxe

Chomsky parle dans son ouvrage de l’extension de la base. Qu’est que l’extension de base ? Ce sont les propriétés formelles de la base du composant syntaxique avec des phrases simples.

Il donne un exemple dans son ouvrage avec la phrase suivante : « Sincerity may frighten the boy ». Il dit qu’une grammaire traditionnelle décortique la phrase (syntagme verbal, verbe, syntagme nominal, nom, déterminant, etc.).

Chomsky présente après l’analyse de la phrase précédente la manière dont l’information peut être présentée formellement dans une description structurale qui engendre un système de règles explicite.

En fait, Chomsky veut dire qu’une phrase peut être décortiquée et analysée de plusieurs manières. Par exemple, la phrase peut être représentée sous forme de diagramme, de parenthétisations étiquetée, etc.

Voici un exemple de diagramme correspondant à la phrase analysée ci-dessus.

Diagramme (arbre syntaxique) :

                        P

SN                  Aux                            SV

N                     M                    V                            SN

Sincerity         may                 frighten           Dét      N

                                                                       The      boy

 

Une grammaire de constituants (ou grammaire de structure syntagmatique) c’est un ensemble non ordonné de règles de réécriture.

Les règles de réécriture sont une partie de la base du composant syntaxique. Ces règles sont disposées en une suite linéairement ordonnée.

En linguistique générative, les règles de réécriture sont aussi appelées règles syntagmatiques. Elles servent à créer des syntagmes ou des propositions. Ce composant de la grammaire a la particularité de produire des phrases de « haut en bas », c’est-à-dire en partant des éléments les plus abstraits pour aller vers des éléments plus concrets.

L’autre avantage de ce type de grammaire est de faciliter et simplifier la description d’un langage.

On se rend compte de manière claire et évidente que le diagramme facilite et simplifie grandement la lecture d’une phrase ainsi que sa description.

Notions fonctionnelles

Chomsky fait la distinction entre les notions fonctionnelles qui concerne la fonction du mot dans la phrase (sujet, prédicat, déterminant, etc.) et les notions catégorielles qui concerne la catégorie du mot dans la phrase (syntagme nominal, verbe, article, etc.).

Chomsky fait cette distinction, car ce serait une erreur de considérer comme catégorielle des notions fonctionnelles.

Chomsky donne l’exemple de la phrase suivante : « John was persuaded by Bill to leave » (John fut persuadé par Bill de partir). Dans cette phrase, « John » est le sujet grammatical (c’est-à-dire du point de vue de la configuration de surface) et « Bill » le sujet logique. Ainsi, Chomsky en conclut à travers cet exemple que la configuration profonde où sont représentées les fonctions grammaticales sera très différente de la configuration de surface.

Analyses entre syntaxe et phonologie

La syntaxe permet de régler le problème de la sous-catégorisation par des règles de réécriture. Selon G.H Matthew, les règles de réécriture ne sont pas appropriées pour effectuer la sous-catégorisation des catégories lexicales.

La phonologie correspond à une classification croisée du point de vue des règles phonologiques.

Voici par exemple ce que Chomsky propose comme règle phonologique : (+ continu) (+ sonore) etc.

Il est nécessaire de considérer chaque unité phonologique comme un ensemble de traits et de construire le composant phonologique de telle façon que chaque règle s’applique à tous les segments contenant un trait ou une constellation de traits déterminée.

 

Structures profondes

Selon Chomsky, la forme d’une grammaire ou sa structure grammaticale est un composant syntaxique, sémantique et phonologique.

Les composants sémantique et phonologique peuvent être interprétés. Ils se voient attribuer des rôles secondaires d’interprétation. Le composant syntaxique représente une base et un composant transformationnel. La syntaxe se voit attribuer un rôle génératif important. Cette théorie de la grammaire sera plus tard connue sous le nom de « théorie standard ».

La base représente un sous-composant catégoriel et un lexique. La base engendre des structures profondes. Une structure profonde passe dans le composant sémantique et reçoit une interprétation sémantique.

Qu’est-ce que le sous-composant catégoriel ? C’est une séquence de réécriture non contextuelle.

Qu’est-ce que le lexique ? C’est un ensemble non ordonné d’entrées lexicales et de règles de redondances.

Pour chaque phrase, une structure profonde (ou forme interne) détermine l’interprétation sémantique interprétée par le composant sémantique. Autrement dit, la structure profonde représente tout ce qui est nécessaire à l’interprétation sémantique. Elle est le résultat de trois règles connues sous les noms de règles syntagmatiques de type P       SN + SV, les règles de sous-catégorisation (noms propres/communs, animés/inanimés, etc.), et les règles d’insertion lexicale.

Une structure de surface (ou forme externe) détermine l’interprétation phonétique interprétée par le composant phonologique.

 

Grammaticalité et acceptabilité

Pour Chomsky, la grammaticalité est une question de degré. Autrement dit, lorsque les phrases sont directement produites par le système de règles grammaticales, elles sont nommées phrases grammaticales parfaitement ou strictement formées. En revanche, lorsque les phrases sont dérivées, certaines règles grammaticales telles que les règles de sous-catégorisation ou les règles de sélection s’écartent de la stricte forme. Chomsky les appelle grammaticalement « déviants ». Il est possible d’évaluer le degré et la manière de leur déviation en comparant leur description structurelle avec celle des phrases strictement formées. Ainsi, une théorie du « degré de grammaticalité » peut potentiellement être développée.

Une grammaire descriptivement adéquate doit donner à chaque séquence une description structurale indiquant la façon dont elle dévie de la stricte formation.

Selon Chomsky, « une phrase « acceptable » est celle qui est parfaitement naturelle et immédiatement compréhensible et nullement bizarre ». Autrement dit, ce sont celles qui ont le plus de chances d’être produites par un natif. L’idée ou la notion d’acceptabilité dépend de différentes perspectives telles que la rapidité, l’exactitude et l’uniformité du rappel, la reconnaissance et la normalité de l’intonation.

Chomsky ajoute que « l’acceptabilité » est un concept qui appartient à l’étude de la performance, alors que la grammaticalité appartient à l’étude de la « compétence ».  Ainsi, il peut y avoir des phrases grammaticales, mais néanmoins inacceptables.

On dit par exemple d’une phrase qu’elle est acceptable lorsqu’elle est adaptée à la situation de communication. Prenons l’exemple suivant : « Je sais pas » est une phrase intelligible, non grammaticale, acceptable en langue orale, mais inacceptable à l’écrit.

Une phrase grammaticale correspond à une construction qui respecte les règles de grammaire, sans prendre en compte le sens du message. Par exemple, si on dit « Le linge mange les pommes ». Cette phrase est grammaticale, mais non acceptable au niveau du sens.

La grammaticalité est une notion développée dans les années 1960. Elle indique un énoncé conforme à la grammaire descriptive d’une langue. Son contraire est l’agrammaticalité.

Pour Chomsky, la notion d’agrammaticalité s’oppose à l’acceptabilité, cette dernière reposant sur le sentiment subjectif des locuteurs et sur le caractère envisageable ou non d’une phrase.

En somme, la grammaticalité correspond à une phrase juste au niveau syntaxique même si elle n’a pas de sens, alors qu’une phrase acceptable correspond à une phrase compréhensible même si elle est fausse grammaticalement.

 

Le composant de base et la sous-catégorisation

« La base du composant syntaxique est un système de règles qui produit un ensemble très restreint de séquences de base, pourvues chacune d’une description structurale appelée indicateur syntagmatique ». Ces indicateurs de base sont les unités élémentaires dont sont constituées les structures profondes. En plus de sa base, le composant syntaxique comprend un composant transformationnel.

Structure générale du composant de base

En grammaire générative, la composante syntaxique comporte plusieurs sous-composantes : la base (sous-composante catégorielle et lexique) et la sous-composante transformationnelle.

Chomsky parle du problème de la sous-catégorisation des catégories lexicales. Il montre comment cette information devrait être capturée de manière généralisée dans la grammaire. Il estime que les règles de réécriture ne sont pas les dispositifs appropriés. Sa solution est d’emprunter l’idée de traits de la phonologie. Une catégorie lexicale comme le nom, le verbe, etc., est représentée par un symbole comme N, V, etc. Un ensemble de « règles de sous-catégorisation » analyse ensuite ces symboles en « symboles complexes ».

La sous-catégorisation

La distinction en termes de catégories n’est pas toujours suffisante pour décrire les propriétés d’une langue.

C’est pour cela qu’on va avoir besoin d’une classification, c’est-à-dire qu’on va faire des catégories à l’intérieur même des catégories qui existent déjà. Ce qu’on va appeler la sous-catégorisation.

Les règles de sous-catégorisation correspondent à des règles introduites dans la composante de base entre les règles syntagmatiques et les règles lexicales. Ceci afin d’empêcher la généralité au niveau de la structure profonde de certaines phrases agrammaticales. Ainsi, pour éviter la généralité d’une phrase comme : « la télévision mange ». Les règles de sous-catégorisation vont bloquer et empêcher l’attribution au verbe « manger » d’un sujet non animé. Les règles de sous-catégorisation se divisent en règles contextuelles et non contextuelles.

La sous-catégorisation désigne le type de structure syntaxique dans lequel on peut insérer un élément. Ce principe proposé par Chomsky oblige l’insertion des éléments lexicaux au niveau syntaxique. Certaines contraintes sont ajoutées afin que cette insertion ne soit pas trop libre.

Par exemple, la sous-catégorisation du mot « boy » sera classée dans les noms + communs + dénombrables + animés + humains et que le mot « book » par exemple sera classé dans les noms + communs + dénombrables – inanimés.

Cette sous-catégorisation peut se faire sous forme de diagramme ou autre afin de faire apparaître les distinctions sémantiques.

Remarques supplémentaires sur les règles de sous-catégorisation

Il y a une distinction entre les règles de branchement (qui sont des règles où ni A ni Z ne mettent en jeu de symbole complexe) et de sous-catégorisation (qui introduit des traits syntaxiques et crée ou développe un symbole complexe), et les règles contextuelles et non contextuelles.

Les règles de sous-catégorisation contextuelles sont divisées en règle de sous-catégorisation stricte et règles sélectionnelles. La sous-catégorisation, selon Chomsky, est une catégorie lexicale sur la base des suites de symboles catégoriels. Quant aux règles de sous-catégorisation sélectionnelles, elles sous-catégorisent une catégorie lexicale sur la base des traits syntaxiques qui apparaissent à des positions spécifiées de l’énoncé.

La structure de surface d’une phrase se base sur son organisation syntaxique après la réalisation des opérations de transformations. Afin de bloquer l’apparition de phrases agrammaticales, il faut recourir à des règles de sous-catégorisations. Celles-ci sont des règles introduites dans les composantes de base entre les règles syntagmatiques et les règles lexicales.

Ces règles dont il est question peuvent être divisées en diverses autres règles.

  • Les règles de sous-catégorisations du nom. Il y a quatre sortes de noms : nom commun animé, nom commun non animé, nom propre animé et nom propre non animé. La sous-catégorisation en nom commun et en nom propre est exprimée dans les unités lexicales, par : (+ commun) (- commun).
  • Les règles de sous-catégorisations du verbe. Les verbes sont définis par deux types de traits : des traits sélectifs et des traits inhérents (± transitif).
  • Les règles de sous-catégorisations de l’adjectif. L’adjectif est catégorisé sur la base de son contexte.

 

Critique

Nombreux principes de la grammaire générative comme, les transformations, les structures profondes, l’autonomie de la syntaxe, et d’autres principes, etc. ont été abandonnés ou révisés après avoir démontré qu’ils étaient inappropriés ou trop compliqués.

Certains collaborateurs de Chomsky, notamment George Lakoff ont répondus à ces problèmes rencontrés dans la théorie standard en apportant une nouvelle approche appelée « la sémantique générative ». Cette approche a été inventée au début des années 1970. Chomsky considère que la syntaxe est indépendante de la signification, du contexte et des connaissances. Cependant, George Lakoff, à l’inverse de Chomski, démontre que la sémantique, le contexte ou autres peuvent entrer dans les règles qui gouvernent la syntaxe.

La théorie de Chomsky a été critiquée par de nombreux courants linguistiques. Effectivement, la linguistique générative s’oppose au béhaviorisme et au structuralisme.

« Le béhaviorisme est une méthode psychologique fondée sur l’observation objective. Pour les béhavioristes, la psychologie est le comportement extérieur des hommes, et non l’intériorité des sujets. Il s’agit donc d’une psychologie du comportement. Cette théorie est basée uniquement sur l’étude du comportement. Elle consiste à apprendre une langue par répétition ».

« Le structuralisme est en linguistique une démarche théorique qui consiste à envisager la langue comme une structure, c’est-à-dire un ensemble d’éléments entretenant des relations formelles. Cette théorie privilégie l’étude des rapports entre les éléments d’une structure plutôt que l’étude des éléments ».

Tomasello, le psychologue cognitif et développemental américain a étudié les productions des enfants d’un à trois ans. Il a remarqué que l’enfant ne dispose pas, dès son plus jeune âge, du concept syntaxique de « verbe » malgré que les enfants de cet âge produisent naturellement et de manière spontanée beaucoup de verbes. L’enfant, selon Tomasello, commence par apprendre des formes centrées autour d’éléments lexicaux précis. Pour lui, la compétence linguistique se développe pas à pas jusqu’à l’âge adulte. On voit bien à travers ces paroles le désaccord de Tomasello avec la théorie de Chomsky sur l’acquisition innée du langage.

Les linguistes Miller et Weinert remettent en cause les théories générativistes de l’acquisition du langage qui considèrent que l’enfant doit acquérir des structures très complexes figurant que très rarement dans le langage qui lui est adressé. Ces structures complexes mentionnées par les générativistes sont en fait des structures qui concernent la langue écrite, et non pas la langue orale dans laquelle sont plongés en permanence les enfants.

« Les linguistes Gombert et Olson proposent également que les capacités métalinguistiques soient acquises seulement lors de l’apprentissage de la lecture ».

« Pour Piaget (biologiste, psychologue, logicien et épistémologue), l’acquisition du langage se fait par étapes et en interagissant avec le monde extérieur, notamment au sein de l’école. Bref, elle relève essentiellement de l’acquis, et s’intègre dans le cadre plus général du développement de l’intelligence de la naissance à l’âge adulte. En plus, pour Piaget et Skinner, le langage n’est construit que par l’interaction avec l’environnement ».

Piaget a mis en évidence quatre grandes périodes ou étapes du développement psychologique. Chaque étape est bâtie sur les fondations de l’étape précédente. Les quatre périodes sont selon lui :

  • la période de l’intelligence sensori-motrice de 0 à 2 ans ;
  • celle de l’intelligence préopératoire de 2 à 6-7 ans ;
  • celle de l’intelligence opératoire de 6-7 ans à 10-12 ans ;
  • celle des opérations formelles ; à partir de l’adolescence.

Il apparait clairement pour de nombreux linguistes tels que Piaget, Gombert, Olson, Skinner et d’autres que le langage n’est pas inné. Bien au contraire, selon eux, le langage s’apprend par étape de manière progressive.

 

Mon avis

Je trouve que l’ouvrage Aspects de la théorie syntaxique de Chomsky est un ouvrage révolutionnaire expliquant la grammaire transformative générative. Chomsky montre aussi à travers cet ouvrage les limites de la grammaire structurale. Il est très intéressant, mais difficile à comprendre lorsque l’on n’a pas de base en linguistique. J’ai dû le relire plusieurs fois pour m’en imprégner et pouvoir trouver les thèmes de cette fiche de lecture. Le livre nous montre la langue d’une manière très nouvelle avec une analyse approfondie. J’ai également aimé les nombreux exemples qu’il donne et les preuves sur lesquelles il s’appuie lorsqu’il apporte un argument ou qu’il essaye de démontrer sa théorie. Aussi, Chomsky est très prudent. En effet, lorsqu’il ne sait pas où qu’il n’a pas assez de preuve sur un sujet, il le dit. Comme dans la préface de l’ouvrage lorsqu’il dit : « Notre étude traite, en ce sens, de questions qui sont à la périphérie de la recherche en grammaire transformationnelle. Pour certaines, on proposera des réponses définies ; mais le plus souvent la discussion ne fera que poser les problèmes et considérer diverses manières de les aborder, sans parvenir à des conclusions définitives ».

Avec la sortie du livre « The Minimalist Program » en 1995, Noam Chomsky n’a pas créé une rupture radicale avec la théorie, cependant c’est une réorientation de la recherche, autrement dit, cet ouvrage est plus un programme de recherche. L’objectif étant d’optimiser l’adéquation entre le modèle descriptif et explicatif.

Maintenant, Chomsky mène plus une carrière politique. En a-t-il pour autant fini avec la linguistique ?

Posted by

Etudiant palestinien francophone, intéressé par les questions politiques, philosophiques et théologiques.

Laisser un commentaire

Required fields are marked *.