In Platonis Phaedrum Scholia: 275b5-c2
Billet précédentLire les autres billets de la série
Σωκράτης
οἱ δέ γ᾽, ὦ φίλε, ἐν τῷ τοῦ Διὸς τοῦ Δωδωναίου ἱερῷ δρυὸς λόγους ἔφησαν μαντικοὺς πρώτους γενέσθαι. τοῖς μὲν οὖν τότε, ἅτε οὐκ οὖσι σοφοῖς ὥσπερ ὑμεῖς οἱ νέοι, ἀπέχρη δρυὸς καὶ πέτρας ἀκούειν ὑπ᾽ εὐηθείας, εἰ μόνον ἀληθῆ λέγοιεν: σοὶ δ᾽ ἴσως διαφέρει τίς ὁ λέγων καὶ ποδαπός. οὐ γὰρ ἐκεῖνο μόνον σκοπεῖς, εἴτε οὕτως εἴτε ἄλλως ἔχει;
Socrate
Mon cher, mais les prêtres du temple de Zeus à Dodonne avant disaient que les prophéties sortaient d'un chêne. Aux gens de cette époque, qui n'étaient pas sages comme vous autres jeunes, convenait dans leur naïveté, d'écouter le chêne ou la pierre si seulement ils disaient le vrai: pour toi ça fait différence qui parle et d'où il vient. Tu ne regardes pas juste s'il dit la vérité ou pas?
Platon, Phèdre, 275b5-275c2
Nous voici devant toute la complexité et l’ambiguïté du Phèdre. Car cette phrase semble dire exactement l’opposé de ce que Socrate vient d’affirmer, à savoir que l’important ce n’est pas ce dont on se rappelle, mais d’où vient la mémoire. La mémoire qui porte connaissance doit venir de l’intérieur. Mais ici on dit que les prophéties, le savoir mantique, μαντικός, vient toujours de l’extérieur et par ailleurs peu importe d’où il vient pour qu’il soit vrai.
Une autre contradiction immédiatement visible: les anciens étaient sages il y a quelques répliques, ils sont naïfs maintenant. Les anciens connaissent la vérité, mais il ne sont pas sages? Est-ce possible? Évidemment l’affirmation de Socrate ici est ironique: les jeunes d’aujourd’hui sont sages dans le sens des sophistes, donc ils sont faussement sages, ils se croient sages, ils sont δοξόσοφος et non σοφός. Mais la contradiction reste et questionne.
La naïveté dont Socrate fait ici l’éloge, cette εὐήθεια, une sorte de bonne disposition par rapport à ce qui se présente devant nous, est une attitude qui met en confiance, qui nous pousse à croire ce qui nous est dit, sans trop se poser de questions. Mais c’est une attitude qui n’est pas critique et qui semblerait ne pas être en accord avec une posture philosophique. Bien sûr, cette attitude ne concerne que la source d’une information ou d’une connaissance et pas son contenu: il faut regarder si un discours est vrai ou pas et non d’où il vient.
Le Phèdre est le dialogue de la matérialité parce qu’il pose continuellement la question du rôle de l’inscription matérielle dans la production du sens. Mais le dialogue ne donne pas une réponse unique et univoque. La matérialité de l’inscription compte; cela est clair. Mais comment elle compte et ce qu’elle dit, cela n’est pas établi de façon schématique. Les lieux, les arbres, les heures de la journée, les dieux produisent de la pensée. L’important est que cette pensée soit vraie et pas qui l’a produite. Mais en même temps qui la produit détermine la possibilité de la vérité.