Les vidéos ont envahi Internet depuis une dizaine d’années et ont pris une place importante dans notre société. Elles sont l’une des vitrines principales du Web et sont accessibles au plus grand nombre notamment grâce aux smartphones. Média, réseau social, moyen de communication, la vidéo a évolué, depuis les débuts de YouTube et Dailymotion jusqu’à aujourd’hui. La question est désormais de savoir si son rôle, son statut et son impact peuvent encore évoluer, et dans quelle mesure. Son influence va-t-elle perdurer au fil des années ? Pour répondre à cette interrogation, cet article va analyser les étapes de cette progression, et détailler ses possibilités, ses enjeux et ses risques. De Vevo à Périscope, de MSN à Skype, des selfies aux snaps, la vidéo passe derrière l’objectif pour une analyse sous tous les angles de vue.
Internet et ses « ancêtres »
Les vidéos sont devenues un outil et un medium très présent dans notre société, et particulièrement lors de cette décennie. Leur expansion est indissociable de celle d’Internet qui a également pris de l’ampleur dans la même période. Pour s’en rendre compte, il suffit de se référer à la phrase de « PPD », la célèbre marionnette présentatrice des Guignols de l’Info inspirée du journaliste Patrick Poivre d’Arvor. Lors de la première émission de l’année 2010, la célèbre phrase du début d’émission « vous regardez trop la télévision, bonsoir ! » a été remplacée par « vous regardez l’ancêtre d’Internet, bonsoir ! ». Cette « gimmick » répétée lors des émissions suivantes dresse un constat assez réel du paysage médiatique. Bien qu’ils ne disposent pas d’écran, la radio et la presse peuvent être aussi considérés comme des concurrents et des victimes « collatérales » d’Internet. Ces médias sont évidemment toujours présents, mais ils résistent de moins en moins. Les groupes médiatiques en ont d’ailleurs pris conscience et ont lancés leurs propres sites Internet où l’on peut trouver leurs articles de presse, leurs stations de radio et leurs chaînes de télévisions en direct. Une adaptation nécessaire à l’aube d’une nouvelle ère pour les médias.
Les premiers pas avec YouTube et Dailymotion
Outre la multiplication des sites web, réseaux sociaux et autre blogs, les vidéos sont donc un support privilégié d’Internet. 2005 a été une année phare avec la création des deux mastodontes d’hébergement de vidéo en ligne : YouTube et Dailymotion. YouTube a été créé en Février par Steve Chen, Chad Hurley et Jawed Karim, trois employés de l’entreprise de service de paiement en ligne Paypal. La première vidéo mise en ligne le 23 Avril 2005 montre d’ailleurs Jawed Karim en visite au zoo. Cette première vidéo de 18 secondes sobrement appelé « Me at the zoo » a été la première d’une longue liste. Dailymotion a été créé peu après, en Mars par Benjamin Bejbaum et Olivier Poitrey, informaticiens et entrepreneurs français. C’est un voyage à New-York qui poussera Benjamin Bejbaum à mettre au point ce projet, baptisé initialement « Short.tv ». Ce site se distingue par son moteur d’encodage automatisé permettant aux internautes de pouvoir publier leurs vidéos sans la contrainte du format. Bien qu’il existe d’autres sites de partage de vidéo (dont Vimeo qui a été créé en 2004), YouTube et Dailymotion ont été et restent les références dans le domaine.
Le succès est rapidement au rendez-vous pour YouTube, au point de se faire racheter quelques mois plus tard par Google, le 9 Octobre 2006, pour environ 1,65 milliards de dollars. L’objectif était d’être présent sur ce marché émergent de la vidéo en ligne avec un atout plus considérable que ne l’était Google Vidéo, son propre service de partage vidéo. Éric Schmidt, le PDG de Google de l’époque ¾ aujourd’hui président du conseil d’administration ¾ affirmait que cet investissement avait pour but notamment de « faire de la vidéo l’expérience centrale des internautes ». Une ambition que l’on peut considérer comme atteinte, environ dix années plus tard. YouTube est devenu au fil des années la référence en matière de vidéos en ligne et surpasse son principal concurrent Dailymotion en termes d’utilisation et de popularité.
La multiplicité des contenus
Le secteur de la vidéo a progressivement touché plusieurs domaines culturels et de société. Musiques, clips, films, événements sportifs, émissions télévisées, concerts, livres audio… De nombreux contenus ont rapidement été disponibles sur les plateformes, entraînant une concurrence avec les médias diffuseurs et quelques contentieux concernant les droits d’auteurs et la propriété intellectuelle[1][2]. La musique est sans doute le domaine qui a cristallisé le plus de tensions. En 2009, un accord entre YouTube et le label de musiques Universal Music Group (rejoint plus tard par Sony Music Entertainment) a permis de créer VeVo, un service d’hébergement de vidéos musicales. Nonobstant une initiative donnant l’exclusivité du contenu du label à YouTube, cet accord a permis d’une part aux différentes parties de se partager les revenus générés par les vidéos, d’autre part de ne pas avoir à entrer dans des batailles juridiques.
Cependant, en 2014, l’entreprise Global Rights Music, représentante de 42 artistes musicaux dont Pharrell Williams, a exigé que pas moins de 20 000 musiques soient retirées de YouTube pour cause d’absence d’autorisation de leur part, et de licence entre les deux parties. En outre, une page concernant les droits d’auteurs et les nombreuses questions qui en découlent est disponible sur le site de Google, afin d’informer et de prévenir les YouTubers. En effet, ces derniers ne sont pas autorisés à intégrer des éléments – musique, image ou vidéo – pour lesquels ils n’ont pas les droits. Dans le cas contraire, ils s’engagent à renoncer à la monétisation de leurs vidéos ou à reverser de l’argent au détenteur des droits.
Un business lucratif
En effet, la vidéo en ligne est devenue un business lucratif possédant ses propres enjeux économiques. Les publicités sont l’une des sources principales des revenus générés. Les vidéos les plus visionnées permettent aux « YouTubers » de se voir reverser une partie des gains provenant des publicités qui apparaissent dans leurs vidéos. La page d’information de Google concernant le revenu des partenaires YouTube l’explique très bien : « Les sommes sont calculées sur le principe d’un partage des revenus publicitaires générés lorsque les utilisateurs regardent vos vidéos. Plus vos vidéos enregistrent de vues, plus vos revenus seront élevés[3].». La monétisation des vues existe bel et bien, même si les conditions peuvent différer selon certains paramètres : la saisonnalité, le pays de visionnage, la typologie des annonces, le contenu des vidéos et le sponsoring. Tous ces paramètres sont détaillés sur le site Internet de Wizdeo, l’agence digitale experte des vidéos sur YouTube (dont il est le partenaire certifié) et leader mondial dans le tracking – ou suivi – en temps réel des performances des chaînes YouTube.
Le « buzz » et l’argent du buzz
Ce système est donc lié au concept du « buzz » (bourdonnement en anglais). Ce terme était utilisé principalement en marketing pour désigner une technique de communication destiné à faire parler d’un produit ou d’un service avant son lancement, par le biais des médias. Il a progressivement été associé aux langages des réseaux sociaux et des divers moyens de communications d’Internet, dont les vidéos font partie. Dans ce cas-ci, le buzz désigne un engouement médiatique important matérialisé par une exposition et un nombre de vues conséquents. Ainsi, il est d’usage de dire qu’une vidéo « fait le buzz », que c’est la vidéo (ou plutôt l’une des vidéos) du moment, celle qui est sur le devant de la scène virtuelle.
Cependant, bien que le sensationnel et l’inédit soient un facteur majeur, ce ne sont pas toujours ces raisons qui font d’une vidéo un buzz. En 2007, une vidéo intitulée « Charlie bit my finger – again », traduit « Charlie a mordu mon doigt – encore » a fait le buzz cette année-là. Cette vidéo de 55 secondes où l’on voit Charlie, âgé d’un an, mordre le doigt de son grand-frère Harry, trois ans, comptabilise aujourd’hui plus de 839 millions de vues (un chiffre en constante évolution), faisant d’elle l’une des vidéos les plus regardées du web. À l’origine, le père d’Harry et Charlie a posté cette vidéo sur YouTube car la taille de la vidéo ne lui permettait pas de l’envoyer par email au grand-père des deux garçons. Quatre années et quelques millions de clics plus tard, la vidéo a permis à la famille de toucher plus de 100 000 livres sterling. Ce succès a également poussé d’autres familles à en faire de même, tandis que des produits dérivés (T-shirts, tasses et calendriers) de « Charlie Bit My Finger » ont également été commercialisés par la famille suite à la demande des internautes.
Les YouTubeurs tissent leurs toiles
Cette performance illustre une tendance qui a pris de l’ampleur au fil du temps : la vidéo en ligne est une vitrine où chacun peut se montrer et s’exprimer. En France, le premier exemple de ce nouveau rôle joué par la vidéo en ligne s’est illustré par l’arrivée d’une nouvelle génération d’humoristes « 2.0 ». Pour la plupart, le concept de leurs vidéos ressemble au « stand-up », ou comique de scène : un humoriste prend la parole face au public et raconte généralement des situations qui lui sont arrivées. Le principe est presque le même, sauf que le spectacle se déroule face à la caméra et que le public est constitué d’internautes se trouvant de l’autre côté de l’écran. Cyprien, Norman, Squeezie, Hugo Tout Seul, Mister V : leurs noms et leurs visages sont devenus de plus en plus célèbres grâce à des vidéos postées tous les mois, toutes les semaines et même tous les jours pour certains.
Ils ont d’abord tissés leurs toiles essentiellement sur Dailymotion avant de migrer sur YouTube. Évidemment, les deux médias ne sont pas négligés par les vidéastes qui postent leurs vidéos sur les deux sites. Mais si Dailymotion a d’abord été privilégié, YouTube s’est révélé plus populaire et a bénéficié d’une plus grande audience vers la fin des années 2000, comme l’a expliqué Cyprien dans le cadre d’une interview pour Mac4ever, site de référence sur Apple[4]. Aujourd’hui, leurs chaînes YouTube sont celles ayant le plus de vues et d’abonnés (Cyprien est le 1er en France avec plus d’un million d’abonnés, suivi par Norman avec plus de 886 000 abonnés).
Pour certains, être YouTubeur est donc une profession dont ils peuvent vivre grâce aux revenus évoqués plus haut. Certaines chiffres circulent concernant les salaires et évoquent des montants évalués à des dizaines de milliers d’euros par mois (44 763€ bruts par mois pour Squeezie, 29 211€ pour Cyprien, 14 986€ pour Norman[5]). Néanmoins, ces montants évoqués et repris par différents sites sont à prendre avec des pincettes : ils ont été établis sur les calculs de revenu générés par le nombre de vues évoqués plus haut. Certaines conditions d’évaluation de ces revenus sont aléatoires, et il faut également prendre en compte les charges d’impositions existantes.
Les YouTubeuses ne sont pas en reste
Le mouvement féminin n’est pas en reste avec des YouTubeuses qui se distinguent. Certaines comme Horia, EnjoyPhoenix, Danaë MakeUp ou Sananas sont aussi célèbres que leurs homologues masculins. Elles officient principalement dans des domaines tels que les tutoriels « lifestyle », de beauté, de mode, de maquillage. Leur notoriété est telle qu’un premier salon, baptisé Get Beauty et consacré aux YouTubeuses beauté a eu lieu le Samedi 28 Mai au Parc Floral de Paris. Cet événement organisé par Finder Studios a réuni près de 70 YouTubeuses et a attiré environ 10 000 personnes – pour la plupart des adolescentes – venues voir leurs idoles présentes sur les stands et participer à des animations diverses. Une première qui a permis de mesurer la cote de popularité de ces nouvelles coqueluches d’Internet, et qui devrait connaître une deuxième édition l’an prochain grâce au succès de cette première édition.
Outre les podcasts de beauté, les jeux vidéo et les « tutos » (version abrégée de tutoriel) en tout genre sont légion sur les sites de vidéos. Parmi les pionniers, UsulMaster, militant et « spécialiste » du jeu vidéo ou encore La Chanson du Dimanche, duo de musiciens français qui s’est fait connaître en postant chaque Dimanche une chanson sur un sujet d’actualité. L’humour est également privilégiée par certaines, comme Andy Raconte, Natoo ou Nad Rich’ Hard. D’autres enfin sont dans le même registre mais avec un aspect original, plus différent, comme Solange te parle ou encore la web série Le meufisme.
Un nouvel outil de communication…
Les vidéos ont rapidement été utilisées dans la communication sur Internet, par le biais des webcams. Ces caméras utilisées comme des périphériques d’ordinateurs permettent de transmettre des vidéos à travers un réseau. À l’époque des premiers modèles, la qualité de l’image n’était pas forcément élevée mais elle permettait quand même de communiquer à distance via Internet. Les webcams sont ainsi devenues des outils incontournables dans l’utilisation des messageries instantanées comme MSN Messenger (rebaptisé Windows Live Messenger en Décembre 2005) et Skype, devenues populaires particulièrement au milieu des années 2000. Skype a notamment été – et demeure – un outil précieux qui a révolutionné la communication longue distance. Il a proposé une alternative avantageuse grâce à sa gratuité, face à la télécommunication mobile et ses forfaits parfois coûteux, notamment vers l’étranger. Les entretiens d’embauche par Skype se sont également démocratisés. Une situation qui n’est pas forcément confortable notamment pour le candidat, mais qui permet aux deux parties d’économiser du temps et des frais.
Les messageries instantanées sont restées très populaires avant d’être peu à peu reléguées au second plan par l’arrivée des réseaux sociaux vers la fin des années 2000. La fusion entre Skype et MSN le 15 Mars 2013 a mis officiellement fin à l’existence de MSN. Skype, le rescapé de cette union, fait partie de Microsoft depuis cette date. D’autres alternatives ont vu le jour depuis. Apple notamment s’est engouffré dans la brèche et a lancé sa propre application de visioconférence baptisée Facetime. Google s’est aligné en 2013 avec Google Hangouts, plate-forme de messagerie instantanée et de visioconférence. De nombreuses applications du même genre (Fring, Tango, ooVoo, etc.) ont vu le jour et se développent de plus en plus.
…Et d’information
Les vidéos amateurs se sont également répandues dans le secteur de l’information. Elles sont de plus en plus sollicitées par les médias qui les relayent et les diffusent dans leurs journaux d’informations. Un procédé avantageux car il permet d’avoir des images au cœur de l’action. Bien sûr, cela avait déjà été le cas par le passé. L’assassinat du président américain John Fitzgerald Kennedy en 1963 et le passage à tabac du citoyen afro-américain Rodney King par des policiers en 1991 restent les plus célèbres d’entre elles. Elles se sont néanmoins multipliées à partir des années 2000. Le 24 Juillet 2000, le Concorde de Roissy-Charles de Gaulle en direction de New-York prend feu peu après avoir décollé et s’écrase en faisant 113 morts. La photo de l’appareil en flammes a été prise par Andras Kisgergely, un étudiant hongrois passionné d’aviation qui se trouvait sur les lieux, et sera achetée par l’agence Reuters. Les attentats du Word Trade Center en 2001, le tsunami indonésien et les tortures à la prison d’Abou Grahib en 2004, les attentats de Londres en 2005, la fusillade de l’université Virginia Tech en 2007, la répression au Tibet en 2008, les manifestations en Iran en 2009, le séisme à Haïti en 2010 jusqu’aux attentats du 13 Novembre 2015 à Paris, etc. Chacun de ces évènements a été immortalisé par des vidéos amateurs, dont certaines constituent même les seuls images existantes et ont été montrées en exclusivité sur les différentes chaînes d’information.
Cependant, la fiabilité de la source et des images peut être un problème pour la presse qui se procure les images. Lors du séisme en Haïti, France 3 et BFM TV diffusaient le 13 Janvier des images du séisme censées provenir d’une caméra de vidéosurveillance de l’ambassade de France, alors que la vidéo provenait d’un site américain et qu’elle filmait un tremblement de terre ayant eu lieu en Californie. La fiabilité des images demeure toutefois un problème qui est également arrivé par le passé dans d’autres situations, dans la photographie par exemple. Et même si cela arrive, cela n’empêche pas la presse de puiser dans ce vivier qui représente un concurrent moins « maîtrisé » mais qui est un moyen d’avoir des yeux et des oreilles partout à la fois.
Un « réseau social » sur smartphone
Les smartphones sont désormais le terrain de jeu favori des vidéos en direct. De nombreuses applications mobiles existent et sont téléchargeables gratuitement sur les systèmes d’exploitations mobiles. Snapchat, Vine, Périscope, Merkaat, Younow, etc. Elles n’ont toutes pas plus de 5 ans mais elles totalisent chacune des dizaines – voire des centaines – de millions de téléchargements. Elles sont devenues aussi populaires que les réseaux sociaux. Snapchat est même plus prisée auprès des jeunes entre 15 et 25 ans que Facebook ou Twitter, privilégiés par un public plus âgé, selon une étude publiée par la banque d’investissement Piper Jaffray[6].
Le succès de Snapchat auprès de ce public s’explique en partie par ses « snaps », ces photos et vidéos éphémères qui sont diffusées et qui ne durent pas plus de 10 secondes. La communication est plus discrète et instantanée, et mise beaucoup sur l’image et l’ethos, grâce à des émoticônes et des filtres que l’on peut ajouter sur l’image après la photographie. Les snaps ainsi que les messages écrits envoyés directement à un ou plusieurs destinataires disparaissent après visionnage. Ils apparaissent et disparaissent tel un fantôme, qui représente d’ailleurs le logo de l’application. Cependant, certains snaps peuvent être mis en avant dans des « stories » et rester à la vue des autres « snapchatteurs » pendant 24h. De nombreuses célébrités possèdent d’ailleurs leur propre compte Snapchat, que l’on peut trouver aisément. Cela amène encore plus de proximité avec le public, qui peut suivre le quotidien des stars.
Volonté de partager ou narcissisme exacerbé ?
La question mérite d’être posée, notamment avec l’avènement des selfies, ces fameux autoportraits rendus possibles grâce aux modes inversés des caméras. Bradley Cooper, Beyoncé, Barack Obama et même le pape François : les selfies (désigné mot de l’année 2013 par les dictionnaires Oxford, la référence de la langue anglaise) ont été popularisés par des personnalités célèbres qui se sont prêtées au jeu et dont les clichés sont désormais aussi connus qu’eux. Les selfies sont évidemment monnaie courante sur les applis mobiles et les réseaux sociaux, que ce soit pour se montrer ou communiquer avec d’autres personnes en les envoyant. Selon une enquête de l’université d’Ohio State[7], les hommes qui postent le plus de selfies ont des scores très élevés dans les tests de psychologie évaluant le narcissisme et, plus surprenant, la psychopathie.
En effet, comme l’a expliqué Jesse Fox, l’auteure de l’enquête et professeure assistante à l’université d’Ohio State pour le quotidien national américain USA Today, les scores sont « plus élevés pour les tests concernant les comportements antisociaux et la psychopathie ». Elle a également ajouté que ces personnes sont « plus sujets à la « self-objectification » », qui signifie le fait de s’auto-évaluer en se fondant uniquement sur son apparence. L’étude réalisée sur 800 personnes entre 18 et 40 ans a confirmé cette tendance qui peut sembler logique (surtout pour le narcissisme) mais qui n’avait pas été prouvée scientifiquement.
Pour nuancer son propos, Jesse Fox précise toutefois que « les résultats ne signifient pas que les hommes qui postent beaucoup de selfies sont forcément narcissistes ou psychopates ». De plus, les niveaux sont simplement au-dessus de la moyenne, ce qui représente uniquement une indication, qui en outre n’est pas une vérité générale. L’idée principale qui ressort de cette étude est que les selfies sont des miroirs dans lesquels sont recherchés la perfection, le souci du détail et la reconnaissance lorsqu’ils sont diffusés.
Une ambition qui peut virer à l’obsession
En Décembre 2012, Danny Bowman, un adolescent britannique de 19 ans, a tenté de mettre fin à ses jours car il n’arrivait pas à prendre le selfie parfait. D’après le journal britannique The Independent[8], ce novocastrien passait environ 10h par jour à se prendre en photo, au point d’en arriver à prendre 200 clichés le jour de sa tentative de suicide. À l’origine, c’est un casting raté trois ans plus tôt qui a déclenché son addiction. Lorsqu’il est rentré chez lui ce soir-là, il a pris une photo de lui qu’il n’a pas aimée et qui a été la première d’une longue série de tentatives pour trouver la meilleure. Il passa la plupart de son temps à la poursuite de cet objectif, et a même arrêté l’école à 16 ans, avant de commettre l’irréparable en se gavant de médicaments. Danny Bowman fait une overdose mais sa mère le trouve à temps pour l’amener à la London Clinic. Son cas est pris très au sérieux car il est considéré comme le premier accro au selfie. Il y est traité pour sa dépendance, ses troubles obsessionnels compulsifs et pour sa dysmorphophobie, qui est un trouble de l’image de soi faisant apparaître des déformations corporelles réelles ou supposées. Une pathologie dont Danny Bowman a parlé et a tenté de faire connaître au plus grande monde pour éviter que cela arrive à d’autres personnes.
Confidentialité et sécurité ?
En plus de ces problèmes de santé qui sont rares mais qui peuvent arriver, autant d’ouverture et d’exposition posent forcément des problèmes de confidentialité et de sécurité. Contrairement aux réseaux sociaux, Snapchat ne requiert aucune information personnelle : un numéro de téléphone et un pseudonyme suffisent pour se créer un compte. Une posture d’anonymat qui ne protège pas de tout. Certaines informations exigées lors de l’installation de l’application sont conservées dans les données. Par ailleurs, une manipulation de capture d’écran (screenshot en anglais) permet à une personne ayant visionné un « snap » de le conserver même si celui-ci disparaît au bout du délai imparti. À ce propos, dans ses conditions d’utilisation[9], l’application stipule que les utilisateurs cèdent gratuitement à Snapchat et à ses partenaires commerciaux les droits sur leurs photos, ainsi que leurs noms et leurs contenus pour les « Live Story », à des fins commerciales. Si les snaps privés ne sont pas concernés, les « stories » peuvent être réutilisées par exemple pour une campagne publicitaire, et cela sans l’accord des personnes concernées qui ont cédé leurs droits.
La conservation des données est d’ailleurs une faille chez Snapchat. Le 1er Janvier 2014, les données de 4,6 millions d’utilisateurs ont été publiées brièvement sur la toile par des hackers. Des numéros de téléphones d’utilisateurs (sans les deux derniers chiffres) ainsi que leurs noms ont été dévoilés afin de démontrer la faiblesse de la sécurité de l’application. La manœuvre des « hackers » (experts en sécurité informatique) avait pour but de la mettre face à ses faiblesses et de montrer que « la sécurité et le respect des données privées doivent être une priorité ». Certaines mesures ont été prises, mais elles n’ont pas été suffisantes pour parer à un retour. En effet, en Février 2016, ce sont même des employés de Snapchat qui ont été victimes d’une escroquerie par email. Ils ont ainsi divulgué des informations personnelles suite à cette supercherie, bien qu’aucune d’elles n’aient été rendues publiques. Contrairement à l’affaire de 2014, l’entreprise a cette fois-ci reconnu ses torts concernant la sécurité. Avant de prendre des mesures ? Rien n’est moins sûr.
Périscope en eaux troubles
Récemment, c’est l’application mobile Périscope qui a fait parler d’elle. Cette application permet à son utilisateur de diffuser en direct ce qu’il est en train de filmer, c’est-à-dire lui-même dans la plupart du temps. Les auditeurs peuvent également poster des commentaires en direct. Périscope a été racheté le 13 Mars 2015 par Twitter, qui voulait concurrencer son nouveau rival Merkaat. C’est le footballeur du Paris-Saint-Germain Serge Aurier qui a contribué à faire émerger un peu plus Périscope, qui est d’ores et déjà dans le top 20 des téléchargements d’applications mobiles. Le 13 Février 2016, Serge Aurier est filmé par son ami Mamadou Doucouré, et se lâche lors d’un échange de questions réponses avec les internautes. Malgré quelques éloges envers certains de ses coéquipiers, il traite notamment le milieu argentin Angel Di Maria de « guignol » et dit du gardien italien Salvatore Sirigu qu’il est « guez », comprenez faible ou nul. Il finit par traiter Laurent Blanc, son entraîneur, de « fiotte ». Les conséquences ne se feront pas attendre puisqu’il sera écarté du groupe professionnel, dont il était devenu un élément important, et qu’il se verra infligé d’une amende de 160 000 euros. L’affaire a provoqué un véritable tollé dans le milieu du football français, et a écorné l’image du joueur condamné à jouer avec l’équipe de CFA (Championnat de France Amateur) du PSG. Elle a surtout contribué à booster la popularité de Périscope, d’autant plus que deux autres jeunes joueurs ont également fait parler d’eux peu de temps après, toujours via l’application. Adam Ounas, des Girondins de Bordeaux s’en est pris à Wissam Ben Yedder, joueur du Toulouse Football Club, après un match entre les deux équipes. Waly Diouf, de l’A.J. Auxerre, a lui insulté les Corses avant un match contre l’AC Ajaccio. Le premier s’est excusé, le club du deuxième également, mais le mal était déjà fait.
Périscope semble donc pouvoir continuer à surfer sur cette publicité gratuite, d’autant que de nombreuses personnalités l’utilisent de plus en plus. Le président François Hollande a ainsi été filmé le 1er Mars lors de sa visite dans les locaux du site Internet Showroomprivé. Une initiative dont ont profité certains auditeurs qui n’ont pas hésité à laisser des commentaires très injurieux envers le président. Ils n’ont pas pu être maîtrisés par la community manager en charge de la diffusion qui a fini par interrompre la diffusion avant la fin. Enfin, l’application a également fait parler en des occasions plus grave. Fin Avril, à Bordeaux, un adolescent a agressé une personne dans la rue, le tout filmé par son complice. Ce passage à tabac a été prémédité et commis car les deux adolescents ont obtenu 40 abonnés connectés, le chiffre à atteindre pour qu’ils s’autorisent à « mettre des KO ». Plus grave encore, au début du mois de Mai, Océane, jeune femme de 19 ans vivant dans l’Essone, a filmé son suicide en direct via le réseau social. Si l’entreprise n’est évidemment pas responsable de tous ces actes, son image a été écornée par ces événements ayant eu lieu sur sa plate-forme sans qu’une censure n’ait été possible.
Souriez, vous êtes filmés !
En Février, Evan Spiegel, PDG de Snapchat, a annoncé lors de la conférence Morgan Stanley’s Tech, Media & Telecom que « plus de 8 milliards de vidéos sont vues quotidiennement sur Snapchat ». En Mai, ce nombre est évalué à 10 milliards[10]. Un nombre impressionnant lorsque l’on sait que ce n’est pas lui le leader dans le domaine – bien qu’il s’en rapproche désormais – mais bel et bien Facebook, qui peut se targuer de compter sur plus d’un milliard d’utilisateurs quotidiens, contre « à peine » cent millions pour Snapchat. Ces données résument bien l’importance de la vidéo aujourd’hui et partout dans le monde. En les constatant, on ne peut s’empêcher de penser à l’œuvre majeure de George Orwell, le prophétique 1984 et au célèbre Big Brother qui nous regarde. Il n’est évidemment pas question ici de télécran (système de télévision qui diffuse continuellement des messages de propagande) ni de Police de la Pensée (Police chargée de découvrir les crimes de pensée et de punir ou éliminer les auteurs de ces méfaits) mais de l’ampleur que la vidéo a pris.
C’est le media de cette décennie, que ce soit au plan de l’information, de la communication ou au quotidien. Avec les réseaux sociaux, et particulièrement Twitter, la diffusion et le relais de messages et d’informations avait passé un cap. Avec les applications mobiles, ce sont les photos et les vidéos qui sont omniprésentes. Tout (ou presque) est enregistré ou filmé. Cette multiplication des vidéos peut s’apparenter à des produits de consommation dont l’existence semble aussi courte qu’un menu de fast-food. Les nostalgiques ou les réfractaires peuvent penser ou déplorer que le temps des photographies sur film pellicule, des appareils photos jetable, des albums photos et des caméscopes est quasiment révolu, et que l’instantanéité, le moment présent, le côté pratique et l’abondance sont aujourd’hui les priorités. Toutefois, au xixe siècle, les technologies argentiques ont plus ou moins subi les mêmes reproches, et furent accusées de causer la mort de la peinture. Il s’agit plutôt ici d’une question de cycle et de renouvellement. La célèbre maxime du chimiste Antoine Lavoisier « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » peut être une forme de réponse : le numérique et les nouvelles technologies ne sont pas forcément une rupture ou une perte des anciens modèles mais plutôt une transformation, une évolution, voire un prolongement de ceux-ci.
L’écriture sera-t-elle victime de l’ère du numérique ?
Dans cette idée de prolongement et d’évolution, on peut tout de même se demander quel sort va être réservé à l’écrit. Au xxie siècle, les machines à écrire, les lettres et les courriers ont laissé place aux ordinateurs, aux textos et aux mails. Ils sont désormais appelés eux aussi à être de moins en moins utilisés au profit de la vidéo. L’écriture sera-t-elle victime de l’ère du numérique ? Bien sûr, l’écriture ne disparaîtra pas mais la question mérite d’être posée, d’autant plus que la vidéo est de plus en plus présente, notamment dans le système éducatif qui est au cœur de cette révolution. En effet, le corps enseignant sollicite de plus en plus l’usage des vidéos. C’est le cas dans la théorie où des initiations au numérique, à ses droits et ses enjeux sont de plus en plus dispensés ; mais également dans la pratique, car c’est désormais un outil pédagogique utilisé par les professeurs.
En 2016, le numérique est même un « enjeu concret », selon les dires de la ministre de l’Éducation Nationale française Najat Vallaud-Belkacem, que l’on peut voir… sur une vidéo du site de l’Éducation Nationale. Un plan numérique a ainsi été lancé dès cette année en France, avec plusieurs objectifs : l’équipement numérique pour un grand nombre de collégiens et d’enseignants, une formation au numérique pour les enseignants, l’intégration du numérique aux nouveaux programmes de chaque discipline et inversement, de nouveaux programmes dédiés à l’enseignement du numérique (Éducation aux médias et à l’information, Enseignement du code informatique). Ces mesures sont pertinentes car, ainsi, l’école « donne aux élèves les savoirs qui correspondent » et les « prépare à la société de demain (…), à la citoyenneté numérique, à l’emploi », toujours selon les propos de la ministre.
On peut cependant se demander si cette « numérisation » ne se fera pas au détriment de l’écriture, qui reste l’un des piliers de l’éducation, au même titre que la lecture ou l’expression orale. Il faut espérer que ces fondamentaux ne soient pas totalement délaissés au profit de cette nouvelle direction prise, même s’il semble impossible et improbable que l’on apprenne aux futurs écoliers à lire et à écrire grâce à une leçon en vidéo. Il s’agit ici d’un autre débat – davantage porté sur le numérique en général que sur la vidéo – que l’on peut relier au propos de cet article mais qui va au-delà de la « simple » place de la vidéo dans notre société.
Babacar BA
[1] http://www.clubic.com/television-tv/video-streaming/youtube/actualite-386364-contrefacon-youtube-perd-bataille-ina.html
[2] http://www.lesechos.fr/17/04/2008/LesEchos/20154-130-ECH_tf1-attaque-le-site-de-partage-de-videos-youtube.htm
[3] http://www.support.google.com/youtube/answer/72902/?hl=fr
[4] http://www.mac4ever.com/actu/96637_cyprien-en-interview-sur-mac4ever
[5] http://www.phonandroid.com/youtube-decouvrez-salaires-annuels-personnalites-influentes.html
[6] http://www.blogdumoderateur.com/snapchat-devant-instagram-twitter-chez-jeunes/
[7] https://news.osu.edu/news/2015/01/06/hey-guys-posting-a-lot-of-selfies-doesn%E2%80%99t-send-a-good-message/
[8] http://www.independent.co.uk/news/uk/home-news/selfie-obsession-made-teenager-danny-bowman-suicidal-9212421.html
[9] https://www.snapchat.com/l/fr-fr/privacy
[10] http://www.lsa-conso.fr/snapchat-plus-de-10-milliards-de-videos-vues-quotidiennement,237396
Super article, très instructif, ludique et bien rédigé!! Bravo
Le trafic de qualité signifie une augmentation des billets et plus de publicité. Le trafic des moteurs de recherche peut conduire à la réussite ou à l’échec d’une organisation.