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Podcast avec François Albera, rédacteur en chef de la Revue 1895

32º Salon de la Revue – Paris, 16 octobre 2022

Pouvez-vous présenter votre revue 1895 ?

1895 Revue d’Histoire du Cinéma c’est une revue qui émane d’une association de recherche sur l’histoire du cinéma, l’Association française de recherche sur l’histoire du cinéma, créée dans les années 80 et qui est, donc, vouée à l’histoire du cinéma sous toutes ses formes. Au départ c’était plutôt les débuts du cinéma, d’où ce titre: 1895. Naissance du cinéma, les frères Lumière, etc, et puis, progressivement et même assez rapidement, c’est toute l’histoire du cinéma et de tous les pays. Elle paraît trois fois à l’an, elle fait environ actuellement 200-250 pages par livraison et son principe c’est que les travaux qu’on publie procèdent d’une recherche originale, avec des documents nouveaux sur un quelconque sujet de cinéma, et on renouvelle l’approche de ce sujet par des recherches en archives, des découvertes, des sources nouvelles à exploiter ou un angle nouveau par rapport à ce qu’on sait déjà de ce film, de ce pays, de ce cinéaste, de ce groupe de cinéastes, enfin, c’est assez large. 

La revue se décline en plusieurs rubriques. Il y a, au début, une rubrique qui s’appelle Le point de vue, qui est une réflexion de type méthodologique, épistémologique sur la manière de mener un travail sur un sujet d’histoire du cinéma. C’est, en quelque sorte, une contribution à l’historiographie du cinéma, à la manière de faire du cinéma, d’écrire l’histoire du cinéma. Ensuite, il y a trois études, qui sont des études de cas sur des exemples concrets et qui répondent en particulier à ces prérequis que j’ai évoqué, c’est-à-dire, l’exploitation des fonds, des sources, etc. Ensuite, il y a une troisième partie qui s’appelle Archives et qui publie, de manière parfois plus brute, des matériaux. Par exemple, on va publier dans un numéro à venir une version inédite du scénario de L’Assassinat du duc de Guise, un film de 1908 qui est fameux dans l’histoire du cinéma. Il se trouve que la BNF l’a acquis, il y a quelque temps, dans un fond où il y avait ce matériel, donc l’un de nos collaborateurs présente ce scénario et on le publie. Cela peut être des documents, une filmographie ou l’inventaire d’un fond nouveau. Et puis, la quatrième partie, elle s’appelle Chroniques – de comptes rendus de bouquins, de revues, de colloques, de journées d’étude, d’expositions concernant le cinéma. Voilà, en gros, comment se présente la revue.

2. Quelle est la situation du cinéma après la Covid ? Comment on consomme le cinéma si on ne le consomme pas dans les salles ? 

Là, ce n’est pas en tant que rédacteur en chef de 1895 Revue d’Histoire du Cinéma que je vous parle, parce qu’on n’a pas publié des travaux sur cet aspect des choses qui est l’actualité. On est dans l’histoire, même si l’histoire peut devenir très proche de nous, mais ce n’est quand même pas de ce qui se passe au moment même dont nous parlons, à ce moment-là on est plus dans l’histoire. Je vais vous dire des choses que tout le monde dit, que la Société des réalisateurs de films est allée dire au Ministère de la Culture : il y a une chute de la fréquentation parce qu’on a, de manière assez arbitraire, disons, fait porter un certain poids aux salles de cinéma de la part du gouvernement de M.Macron, on a considéré que ce n’était pas essentiel de laisser ouvertes les salles de cinéma, même avec des précautions : des fauteuils distants, des masques obligatoires, d’aération… on a considéré qu’on fermait, comme on a fermé certains cafés. Et, tout ça, évidemment, a eu comme conséquence, aussi bien pour les cafés que pour les restaurants, qui ont ouvert plus tôt que les salles de cinéma, de créer des situations économiques menant des entreprises à la faillite. Donc, le cinéma, évidemment, souffre énormément de cette situation parce que les consommateurs de films, enfin, les spectateurs, plus exactement, ont pris d’autres habitudes, ils ont pris l’habitude de regarder des films chez eux, soit sur DVD, soit sur les plateformes. On a aussi laissé, juridiquement parlant, les plateformes occuper l’espace qui était désormais vacant. Donc là c’est une manière, pas de couler, mais, en tout cas, de faire tort au cinéma. Manifestement, le gouvernement, et encore moins son Ministère de la Culture, qui est croupion depuis des années (ce n’est pas qu’il ne fait rien, sans doute qu’il n’a aucune latitude laissée par le président mais, enfin, ça c’est le problème de ses ministres) il n’y a aucune préoccupation de la survie, alors qu’on dit que le cinéma français est le troisième du monde après l’américain et l’indien en termes de production, que le nombre des salles de cinéma est beaucoup plus élevé quantitativement en France que dans les autres pays d’Europe et, néanmoins, on va laisser crever ou, en tout cas, péricliter, cette situation. Alors, il y a divers problèmes qui se cumulent : il y a les télévisions, enfin, le système de financement du cinéma, il y a le bras de fer avec les plateformes comme Disney, qui veut sortir ses films en même temps sur les plateformes et dans les salles, si on lui dit que ce n’est pas possible il dit “dans ce cas-là je ne le sors pas dans les salles”, et donc les salles vont perdre de l’argent, je ne vais pas rentrer dans les détails. En août, ça touche le cinéma qui ne m’intéresse pas énormément: le grand cinéma des grands publics qui, il est vrai, fait vivre l’autre cinéma. Mais ce système de vases communicants risque d’avoir du mal à perdurer si l’Etat ne s’en mêle pas et, de toute façon, depuis l’invention du cinéma, ou presque, si l’Etat ne se mêle pas d’aider le cinéma, c’est-à-dire, ne reconnaît pas sa valeur culturelle et artistique, le cinéma ne peut pas vivre sauf à avoir un bassin de diffusion comme les pays de langue anglaise, donc là il y a un grave problème dont, manifestement, le gouvernement ne se préoccupe pas.

Pouvez-vous partager votre histoire avec Jean-Luc Godard ? 

J’admirais beaucoup Jean-Luc Godard pendant mon adolescence. J’allais voir tous ses films, j’ai vu Pierrot le Fou 18 fois à sa sortie donc j’étais dans un rapport extrêmement empathique et plus que cela, c’était mon modèle parce que je voulais d’ailleurs faire du cinéma à cette époque. J’étais au lycée, j’ai passé le bac en 1968 et j’ai rencontré Godard pour la première fois au festival de Locarno en septembre 1968 où il n’a pas présenté de film lui-même, mais il a accompagné Michel Cournot qui montrait Les Gauloises bleues. J’ai eu l’occasion de lui parler en disant que je voulais faire du cinéma, mais il m’a découragé en disant qu’il ne faut pas faire de cinéma. Il disait : “Il ne faut pas faire des films sur les gens, mais il faut donner aux gens des caméras.” Comme, à l’époque, j’étais au lycée en Haute-Savoie, il m’avait conseillé de donner des caméras aux paysans pour qu’ils fassent leurs propres films. Alors, je ne dis pas que c’était décisif, mais ça m’a un peu refroidi dans l’idée de faire les films, d’autant plus que j’étais engagé politiquement comme beaucoup de gens et Godard aussi en 1968 (extrême-gauche) et donc l’idée de faire des films sur le mode classique devenait insupportable. L’idée était plutôt de faire des films militants, des films subversifs etc., ce qu’il a fait d’ailleurs pendant plusieurs années. 

Et puis, j’ai fait mes études à l’Université de Lyon en philosophie, mais j’étais toujours un cinéphile donc j’ai fait un mémoire sur Eisenstein, parce que j’étais intéressé par les écrits d’Eisenstein qui sortaient à ce moment-là dans les Cahiers du cinéma. J’ai été approché pour travailler dans un organisme à Genève qui s’appelle le Centre d’animation cinématographique, un organisme à mi-chemin entre la pédagogie, les écoles, le ciné-club et le grand public et puis j’ai été engagé à l’Ecole des Beaux-Arts et à l’École des Arts décoratifs de la ville pour donner des cours sur le cinéma. Là, il y a eu un enchaînement de circonstances qui a fait que le directeur de l’école m’a confié les ateliers de cinéma/vidéo en même temps qu’à un cinéaste suisse qui connaissait Godard, Francis Reusser en 1975-76. Il connaissait très bien Godard et Anne-Marie Miéville, avec qui il avait vécu un certain temps. Godard est revenu de Paris en Suisse à ce moment-là, il est allé vivre en Suisse à Rolle avec Anne-Marie Miéville. Il est venu à Grenoble pour faire des vidéos sur la communication du Tour de France de deux enfants  et il est venu à l’école où j’ai enseigné avec Reusser parce qu’on avait eu l’idée d’inviter les cinéastes et pas seulement de faire des cours, pour abolir la division entre la théorie et la pratique. On a essayé d’inventer une pédagogie nouvelle. L’un de nos premiers étudiants, François Musy, est devenu ingénieur du son pour Jean-Luc Godard. Godard venait discuter avec nous parce qu’il cherchait des contacts et donc on a eu des échanges en ce moment-là et il a travaillé aux histoires de cinéma. Il était très intéressé par des cours que j’ai donné sur l’histoire du cinéma pour qu’on échange et de temps en temps, il m’invitait de venir avec des étudiants dans son atelier, qui était près de la gare à Genève pour enregistrer quelque chose, discuter sur l’histoire du cinéma, comment faire l’histoire du cinéma pour que ça ne soit pas conventionnel, etc. D’autre part, il voulait faire une revue donc j’ai travaillé avec lui sur ce projet de revue du cinéma qui serait parti des image et pas le texte, c’était ça l’idée. On a bossé pendant une année. Il y avait Robert Linhart, Philippe Gavi qui était aux Temps Modernes, Anne-Marie Miéville etc. Moi-même j’étais critique de cinéma dans un journal d’extrême-gauche à Genève qui s’appelait La Voix ouvrière et j’ai faisais des expérimentations un peu godardiennes dans ce journal (par ex. des mises en page avec des images qui circulaient entre elles…). ll y a eu la conférence à Amsterdam où je l’ai accompagné. A un moment donné, il a décidé de faire les Cahiers du cinéma tout seul, le numéro 300 des Cahiers. Il a écrit une lettre à chacun entre nous qui devions travailler avec lui. Il m’avait écrit une lettre sur la mise en rapport d‘Octobre d’Eisenstein avec L’homme de marbre d’Andrej Wajda, sur la révolution russe et puis la stratification de l’idéal révolutionnaire en Pologne. Après, il est revenu au cinéma avec Sauve qui peut (la vie) et Passion. Comme je travaillais sur l’ensemble des textes d’Eisenstein, pour travailler sur des textes que j’ai édités, j’allais à Moscou assez régulièrement. Un ensemble de textes sur la peinture. Ça à donné lieu à un bouquin qui s’appelle Cinématisme qui est paru en Belgique en 1980 et ça beaucoup intéressé Jean-Luc Godard, car c’était en lien avec son film Passion où un cinéaste veut mettre en scène des tableaux vivants: Le Greco, Watteau, Rembrandt, Goya, qui sont des tableaux analysés aussi par Eisenstein dans Cinématisme. Après, on s’est perdu un peu de vue quand il a fait Je vous salue, Marie. Même s’il venait un peut à l’école, ses préoccupations métaphysiques ne m’intéressaient plus beaucoup. Mais j’ai continué voir ses films et là dernière fois qu’on s’est vu, c’était à l’enterrement de Danielle Huillet, la femme de Jean marie Straub quand elle est morte.

4. Godard a travaillé avec tous les outils de l’image, l’image fixe, la vidéo et le montage. Il a crée une approche multicouche qui nous apprend à voir. Comment pouvons-nous apprendre à voir après sa mort ? 

J’ai tiré des leçons de ma fréquentation avec Godard et aussi de ma fréquentation de ses films, savoir quoi regarder dans une image, ce qu’il peut y avoir sous cette image, les autres images qui sont convoquées par cette image, des assonances, des rapports qui peuvent être conflictuels, qui peuvent être d’exclusion réciproque ou au contraire de proximité. J’ai enseigné l’histoire du cinéma à l’Université de Lausanne de manière tout à fait académique, mais toujours avec la préoccupation de montrer aux gens des images en faisant des rapports lointains, puisque, comme il disait en citant Pierre Reverdy : les choses éloignées qui sont mises en rapport produisent évidemment d’autres choses. Il y a deux choses, il y a une image, mais il y a aussi un appareil qui produit une image. C’est une des choses auxquelles Godard a toujours été très attentif, comment on produit les images. Harun Farocki à tiré des leçons de Godard, à mon avis, il a tiré le côté appareillage, dispositif. Godard a souvent parlé de ce qu’est une image, mais aussi de comment elle est produite, par exemple une image avec des photogrammes sur une pellicule de 35 millimètres ce n’est pas une image vidéo qui a un balayage électronique, ce n’est pas non plus une image numérique. Cette attention à comment on fabrique de l’image est une des leçons qu’il faut tirer et surtout de ne pas croire à une catégorie supra-matérielle de l’image en général parce que ça n’existe pas. Il n’y a que des images qui sont produites de certaines façons et le rapport au réel ce n’est pas seulement le rapport à son réfèrent, c’est l’image telle qu’elle est fabriquée. C’est une chose spécifique, la fabrication de l’image. Quoi qu’il se passe dans l’avenir dans le domaine des images et des sons, dans la technologie, si on garde dans la tête cette vigilance godardienne, on sera mieux placé pour appréhender ce que c’est qu’une image. A l’heure actuelle je crains beaucoup une espèce de dilution de l’image, que toutes les images s’équivalent. Évidemment, sur l’écran d’ordinateur, qu’une image ait été fabriquée avec un poinçon, avec un stylo, avec un pinceau, avec un appareil de prise de vue ou quoi que ce soit, c’est toujours la même chose, c’est l’équivalent général, au sens où la monnaie est l’équivalent général du capital. Donc ça, c’est une chose, d’ailleurs, qu’Hitler a plus ou moins dit : que du coup, le numérique c’est l’équivalent général, c’est l’interprétant universel. Mais ça, je suis contre, je pense que c’est une illusion qui va nous jouer des mauvais tours, et qu’il faut savoir à quoi on a affaire matériellement, je suis matérialiste si vous voulez, c’est pour ça que je vous disais que la métaphysique m’intéressait moins.

Merci beaucoup d’avoir pris le temps de nous répondre.

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