In Platonis Phaedrum Scholia: 275d3-9
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Σωκράτης
δεινὸν γάρ που, ὦ Φαῖδρε, τοῦτ᾽ ἔχει γραφή, καὶ ὡς ἀληθῶς ὅμοιον ζωγραφίᾳ. καὶ γὰρ τὰ ἐκείνης ἔκγονα ἕστηκε μὲν ὡς ζῶντα, ἐὰν δ᾽ ἀνέρῃ τι, σεμνῶς πάνυ σιγᾷ. ταὐτὸν δὲ καὶ οἱ λόγοι: δόξαις μὲν ἂν ὥς τι φρονοῦντας αὐτοὺς λέγειν, ἐὰν δέ τι ἔρῃ τῶν λεγομένων βουλόμενος μαθεῖν, ἕν τι σημαίνει μόνον ταὐτὸν ἀεί.
Socrate
Ce qu'a de terrible l'écriture, Phèdre, est aussi qu'elle est vraiment semblable à la peinture. Et en effet, les êtres générés par la peinture semblent des vivants, mais si tu leur poses une question, il gardent un silence majestueux. C'est pareil pour les discours: tu penses que, comme s'ils pensaient quelque chose, ce sont eux qui parlent, mais si en voulant apprendre tu leur poses une question à propos de ce qu'ils disent, ils répètent toujours une seule et même chose.
Platon, Phèdre, 275d3-275d9
Socrate utilise finalement l’adjectif qui me semble le plus approprié pour qualifier l’écriture: δεινός. L’écriture est terrible, épouvantable et grande, immense, divine et blasphématoire car elle dépasse l’humain, elle dépasse les dieux elle dépasse tout. Pour autant qu’on puisse essayer de la critiquer, elle reste grande. Un ennemi, peut-être, mais majestueux et terrible.
Ici elle est mise sur le même plan que la peinture, ou plus précisément la représentation des animaux: ζωγραφία, à la lettre l’art d’écrire - peindre - les êtres vivants. L’écriture semble donc donner la vie - en cela aussi elle est terrible… divine.
Or ces êtres qu’écriture et peinture créent ont un défaut: ils semblent penser (φρονέω) mais si on leur pose une question, ils ne répondent pas. Socrate ne dit pas qu’ils ne pensent pas, mais qu’ils ne répondent pas. Ils pensent donc, peut-être, ou en tout cas ils se comportent comme s’ils pensaient (ὥς τι φρονοῦντας), sauf pour le fait qu’ils ne répondent pas quand on leur pose une question. Les discours écrits ne peuvent que répéter toujours la même chose.
On est ici devant quelque chose de très semblable à un test de Turing. Dans son fameux article sur l’imitation game, Turing dit en effet qu’il n’y a pas de manière pour distinguer si quelqu’un pense ou pas si ce n’est en se basant sur son comportement: si quelqu’un se comporte comme s’il pensait, nous devons conclure qu’il pense.
Les discours écrits pensent donc - à part si on leur pose des questions. Le rapport entre écriture et pensée est thématisé ici et cette thématisation fonde l’approche occidentale au problème.
On pourrait aller plus loin: est-il vrai que ces discours ne répondent pas quand on leur pose une question? Si l’on pense à l’écriture informatique et au code, il est en effet possible qu’un “discours écrit” - un algorithme - réponde si on lui pose une question. L’écriture semble devenir de plus en plus terrible: maintenant elle passe aussi le test de Turing et finalement elle pense.