In Platonis Phaedrum Scholia: 275a3-7

λήθη, ἀμελετησία, pensée non humaine, ὑπόμνησις, μνήμη

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Σωκράτης
τοῦτο γὰρ τῶν μαθόντων λήθην μὲν ἐν ψυχαῖς παρέξει μνήμης ἀμελετησίᾳ, ἅτε διὰ πίστιν γραφῆς ἔξωθεν ὑπ᾽ ἀλλοτρίων τύπων, οὐκ ἔνδοθεν αὐτοὺς ὑφ᾽ αὑτῶν ἀναμιμνῃσκομένους: οὔκουν μνήμης ἀλλὰ ὑπομνήσεως φάρμακον ηὗρες.

Socrate
Cette chose produira l'oubli dans les âmes de ceux qui l'apprendront, car ils n'exerceront plus leur mémoire, car par confiance en l'écriture ils se rappelerons des choses depuis l'extérieur, à travers des signes étrangers et non plus depuis l'intérieur d'eux-mêmes: tu n'as donc pas trouvé le remède pour la mémoire, mais pour le souvenir.

Platon, Phèdre, 275a3-275a7

Cette idée formulée par Thamous est très connue: l’écriture génère oubli: λήθη. L’écriture est une manière pour oublier. C’est un argument qu’on entend très souvent aujourd’hui, à propos des technologies numériques - hier c’était un menuisier qui me le répétait pendant qu’il cherchait une information sur son cellulaire: je ne me rappelle plus les numéros de téléphones maintenant, car je les ai écrits sur mon téléphone, donc je ne sais plus rien par coeur. Nous faisons confiance à l’écriture, nous n’exerçons plus notre mémoire et, par manque d’exercice (ἀμελετησία), nous oublions tout.

Pourtant, en réalité, nous n’oublions pas: nous sommes capables de retrouver le numéro de téléphone, il est là, à portée de main. Et même, nous sommes capables de retrouver beaucoup plus d’informations: avec nos appareils d’écriture toujours à portée de main, n’importe quelle information est enregistrée et facilement accessible. On veut se rappeler de la date de naissance de Napoléon? Elle est là, écrite et disponible: 1769. On ne se rappelle plus la date de sortie de Annie Hall? 1977, c’est écrit. Et l’actrice principale? Diane Keaton.

Nous n’avons donc rien oublié. Où est le problème? La réponse de Thamous est donc moins évidente qu’elle ne semblerait. Le problème n’est pas de ne plus avoir accès à une information - car dans ce sens l’écriture est un antidote très puissant contre l’oubli. Le problème est comment on fait pour se rappeler. Est-ce qu’on se rappelle depuis l’intérieur (ἔνδοθεν) ou depuis l’extérieur (ἔξωθεν)? Pourquoi s’inquiéter de ce particulier? Il semblerait que pour Platon il est important que ça soit l’individu, le sujet qui porte l’information dont il faut se rappeler et non quelque chose qui lui est extérieur. Mais cette idée est complètement idiote: en premier lieu les concepts d’individu et de sujet sont des idées modernes, étranges à la culture d’un grec de l’époque classique. Et puis, que la pensée soit extérieure a été réaffirmé à plusieurs reprises dans le dialogue. C’est le démon qui dit à Socrate quoi faire, ce sont les dieux du lieu qui dictent ses discours, l’extase bachique qui produit les idées et les passions…

Dans ce contexte, pourquoi un cellulaire ne pourrait-il pas servir pour produire la mémoire? La différence importante, affirme Socrate, est que, dans un cas on peut parler de mémoire (μνήμη), et dans l’autre de ὑπόμνησις. Impossible de traduire cette différence entre μνήμη et ὑπόμνησις. Mémoire et souvenir? L’ὑπόμνησις semble renvoyer à quelque chose qui est déclenché, justement, depuis l’extérieur. L’ὑπόμνησις est le fait de faire souvenir, un quelque chose d’extérieur qui produit un souvenir.

Se rappeler depuis l’extérieur, se souvenir, avoir une ὑπόμνησις implique utiliser des signes étrangers. Mais pourquoi serait-ce un mal, alors que les dieux aussi orientent notre pensée avec des signes étrangers?

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