In Platonis Phaedrum Scholia: 273b2-c6
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Σωκράτης
τοῦτο δή, ὡς ἔοικε, σοφὸν εὑρὼν ἅμα καὶ τεχνικὸν ἔγραψεν ὡς ἐάν τις ἀσθενὴς καὶ ἀνδρικὸς ἰσχυρὸν καὶ δειλὸν συγκόψας, ἱμάτιον ἤ τι ἄλλο ἀφελόμενος, εἰς δικαστήριον ἄγηται, δεῖ δὴ τἀληθὲς μηδέτερον λέγειν, ἀλλὰ τὸν μὲν δειλὸν μὴ ὑπὸ μόνου φάναι τοῦ ἀνδρικοῦ συγκεκόφθαι, τὸν δὲ τοῦτο μὲν ἐλέγχειν ὡς μόνω ἤστην, ἐκείνῳ δὲ καταχρήσασθαι τῷ “πῶς δ᾽ ἂν ἐγὼ τοιόσδε τοιῷδε ἐπεχείρησα;” ὁ δ᾽ οὐκ ἐρεῖ δὴ τὴν ἑαυτοῦ κάκην, ἀλλά τι ἄλλο ψεύδεσθαι ἐπιχειρῶν τάχ᾽ ἂν ἔλεγχόν πῃ παραδοίη τῷ ἀντιδίκῳ. καὶ περὶ τἆλλα δὴ τοιαῦτ᾽ ἄττα ἐστὶ τὰ τέχνῃ λεγόμενα. οὐ γάρ, ὦ Φαῖδρε;
Φαῖδρος
τί μήν;
Socrate
Il semble qu'après avoir découvert ce principe sage et technique il a écrit que si un type faible et courageux a roué de coups un type fort et lâche et qu'en lui ayant enlevé son manteau ou quelque chose d'autre il se retrouve au tribunal, ni l'un ni l'autre ne doivent dire la vérité, mais le lâche doit dire qu'il n'a pas été frappé par le courageux tout seul et l'autre le contredira en disant qu'ils étaient seuls et l'argument qu'il utilisera sera "comment pourrais-je, moi tel que je suis, m'attaquer à lui tel qu'il est?", mais l'autre il n'avouera pas sa lâcheté, mais il mentira avec une nouvelle mensonge, en donnant tout de suite à son opposant la possibilité de le contredire à nouveau. Et sur d'autres sujets il y a des règles semblables pour parler avec art. Ou pas, Phèdre?
Phèdre
Bien sûr
Platon, Phèdre, 273b2-273c6
L’ironie de Socrate revient. Tisias a fait une belle découverte: il a trouvé un principe fort sage (σοφός) et technique (τεχνικός): cela requiert une énorme sagesse et beaucoup de technique, un grand art, en somme. Fort de cette grande sagesse, Tisias peut écrire ses bêtises à effet. Le mépris socratique cette fois n’est pas du tout voilé par son ironie: l’usage du contraire pour dire le contraire est plus ridicule que profond et l’exemple donné est immédiatement tourné en ridicule à cause de cette introduction. Oui Tisias, tu as découvert une grande sagesse et un art vraiment admirable!
L’exemple est en effet un bijou de simplisme et de banalité: un homme faible (ἀσθενὴς, sans force) ne s’attaque pas à un homme fort (ἰσχυρός). Le fort va gagner sur le faible, c’est clair. Ces catégories sont données de façon absolue et ne sont jamais thématisées: que signifie être fort, ou faible? Qui juge de cette qualité? Il s’agit d’un homme qu’on considère fort? Par ailleurs un détail est laissé de côté dans cette évidence: l’homme faible est courageux, (ἀνδρικὸς, proprement “viril”), l’homme fort est lâche (δειλός) ce second couple d’adjectifs suffirait à mettre en question la première évidence; un homme tout simplement faible ne s’attaquerait pas à un homme simplement fort, mais si le premier est courageux et pas le second, cela altère déjà l’analyse.
Socrate semble affirmer que la réalité est complexe et qu’il faut bien la connaître dans l’ensemble de ses détails pour pouvoir en juger; c’est exactement ce qui arrivait dans l’exemple de l’âne: on peut confondre un âne avec un cheval si on s’arrête au premier regard. On peut confondre un homme simplement faible avec un homme faible mais très courageux, mais ils sont loin d’être la même chose.
La liste de mensonge qui doit suivre de la première mauvaise analyse est très longue et les mensonges de plus en plus complexes. Cela révèle plusieurs choses. En premier lieu que le sophiste doit connaître la vérité pour pouvoir procéder: il doit savoir que le public peut confondre la faiblesse et la lâcheté pour pouvoir jouer sur cela. Et en plus cela révèle que le chemin choisi par Tisias n’est pas moins compliqué que celui que propose Socrate: la liste de mensonges complique les choses au lieu de les simplifier.