In Platonis Phaedrum Scholia: 271b10-c5

πανοῦργος

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Σωκράτης
ἀλλ᾽ οἱ νῦν γράφοντες, ὧν σὺ ἀκήκοας, τέχνας λόγων πανοῦργοί εἰσιν καὶ ἀποκρύπτονται, εἰδότες ψυχῆς πέρι παγκάλως: πρὶν ἂν οὖν τὸν τρόπον τοῦτον λέγωσί τε καὶ γράφωσι, μὴ πειθώμεθα αὐτοῖς τέχνῃ γράφειν.
Φαῖδρος
τίνα τοῦτον;

Socrate
Mais ceux qui écrivent aujourd'hui sur l'art des discours et que toi tu écoutes, sont des fourbes et en connaissant très bien l'âme, ils cachent cette connaissance: tant qu'ils ne parleront et écrirons pas de cette manière, donc, ne nous laissons pas convaincre qu'ils écrivent selon les règles de l'art.
Phèdre
De quelle manière?

Platon, Phèdre, 271b10-271c5

Écrire et écouter: Socrate continue à analyser la question de l’enseignement. Les sophistes écrivent des traités pour enseigner la rhétorique. Et on ne peut enseigner rien sans la connaissance de l’âme, encore moins la rhétorique qui, en plus, est basée aussi en tant que discipline sur la connaissance de l’âme.

Maintenant il faut savoir si les sophistes ont une connaissance quelconque ou pas et dans cette réplique la position de Socrate semble être différente: il dit que les sophistes sont fourbes, πανοῦργος, et qu’ils ont en réalité une connaissance de ce qu’est l’âme mais ils la cachent. Cela pourrait être une attaque à la vénalité des sophistes: ils veulent se faire payer, donc ils ne veulent pas transmettre leur connaissance car cette transmission les rendrait ensuite inutiles et ferait en sorte que personne ne veuille plus les payer. Mais est-ce que Socrate est sérieux ou est-il encore en train de faire de l’ironie? Essayons d’analyser les deux scénarios possibles.

Depuis le début de la discussion sur la rhétorique Socrate semble avoir pris des positions différentes. Une première position consiste à dire qu’il n’y a pas d’art rhétorique car on ne peut pas séparer la connaissance de la façon d’exprimer cette connaissance. Il n’y a pas un fond et une forme pour enjoliver ce fond. L’art rhétorique est un art sans art. Dans cet ordre d’idées, donc, il y a des personnes avec des connaissances - par exemple des médecins - et ces personnes sont aussi capables de transmettre ces connaissances, car la compétence ontologique permet automatiquement sa transmission. Si je sais ce qu’est le corps je suis aussi capable de l’expliquer et de transmettre cette connaissance. La rhétorique n’a rien à apporter.

Ensuite Socrate semble proposer une seconde position: l’art rhétorique, le véritable art rhétorique, consiste en la connaissance de l’âme. C’est donc un art à part entière. Et en plus c’est un art qui est nécessaire pour tous: si on veut enseigner, il faut connaitre l’âme. Le véritable art rhétorique serait donc une connaissance ontologique de l’âme: une discipline en soi, mais nécessaire aussi pour les autres disciplines, même si seulement dans le cadre de la transmission et de l’enseignement.

Dans cette seconde hypothèse, l’art rhétorique permet d’adapter les discours aux âmes - comme on le verra dans la suite du discours de Socrate. Si Socrate est sérieux, cela signifie que les sophistes possèdent de fait l’art rhétorique, car ils connaissent l’âme. Du coup ils devraient aussi bien enseigner, car la condition pour bien enseigner n’est pas de parler de la connaissance de l’âme, mais de posséder cette connaissance ce qui permet ensuite d’adapter les discours.

Le fait qu’il n’y a pas, selon Socrate, de différence entre forme et contenu implique que la connaissance de l’âme correspond avec la capacité de bien enseigner. On retrouve ici quelque chose de l’intellectualisme éthique de Socrate: si l’on connaît le bien on ne peut pas ne pas le faire. Si les sophistes connaissaient les âmes, ils devraient enseigner correctement et donc aussi enseigner ce qu’est l’âme; ils ne pourraient pas le cacher. Si Socrate était sérieux cela porterait à une contradiction. Il semblerait donc qu’il se moque des sophistes et qu’il ironise quand il dit qu’ils ont une connaissance de l’âme. Ils ne l’ont pas, en réalité, car autrement ils ne seraient pas sophistes, ils seraient philosophes.

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