In Platonis Phaedrum Scholia: 263d6-e4
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Σωκράτης
φεῦ, ὅσῳ λέγεις τεχνικωτέρας Νύμφας τὰς Ἀχελῴου καὶ Πᾶνα τὸν Ἑρμοῦ Λυσίου τοῦ Κεφάλου πρὸς λόγους εἶναι. ἢ οὐδὲν λέγω, ἀλλὰ καὶ ὁ Λυσίας ἀρχόμενος τοῦ ἐρωτικοῦ ἠνάγκασεν ἡμᾶς ὑπολαβεῖν τὸν ἔρωτα ἕν τι τῶν ὄντων ὃ αὐτὸς ἐβουλήθη, καὶ πρὸς τοῦτο ἤδη συνταξάμενος πάντα τὸν ὕστερον λόγον διεπεράνατο; βούλει πάλιν ἀναγνῶμεν τὴν ἀρχὴν αὐτοῦ;
Φαῖδρος
εἰ σοί γε δοκεῖ: ὃ μέντοι ζητεῖς οὐκ ἔστ᾽ αὐτόθι.
Socrate
Hélas! À ce que tu dis les Nymphes filles d'Achéloüs et Pan fils d'Hermès ont une meilleure technique oratoire que celle de Lysias fils de Céphale. Ou je me trompe et Lysias aussi en commençant son discours sur l'amour nous a obligé à saisir l'amour en tant qu'une essence entre les choses comme il voulait et en structurant le discours sur cette idée pour tout le discours qui suivait il est arrivé jusqu'à la conclusion? Veux-tu relire le début de ce discours?
Phèdre
Si tu veux, mais ce que tu cherches ne s'y trouve pas.
Platon, Phèdre, 263d6-263e4
Ce n’est pas Socrate qui a parlé. Son discours - surtout le second, évidemment - a été dicté par les dieux. Les dieux du lieu, les Nymphes et Pan qui habitent ce bord de l’Ilissos. Et entre un discours humain et un discours divin il n’y a aucune comparaison possible. C’est ici que la différence entre les deux orateurs se joue. Il n’est donc pas question d’avoir un être humain plus malin ou plus capable qu’un autre. La τέχνη du discours, l’art oratoire, est la philosophie, la forme la plus élevée de connaissance et cet art ne peut qu’être divin. Les dieux sont plus “techniques” (τεχνικός) que les êtres humains, ce qui semble presque une tautologie.
Soulignons qu’il s’agit des dieux du lieu: c’est le lieu, en réalité, qui parle. On revient à la matérialité de la parole qui émerge dans un contexte matériel précis. Cette matérialité est aussi la présence - mais on y reviendra.
Socrate met entre parenthèse la compétition avec Lysias: il ne s’agit plus de faire une compétition pour conquérir Phèdre, il ne s’agit plus de briller face à un adversaire (Lysias), il s’agit de comprendre où se trouve la connaissance et elle se trouve auprès des dieux.
Si Lysias n’a pas été capable de commencer avec une définition de l’amour c’est parce que une notion de ce type n’est saisissable que par un esprit divin. Seulement dans l’enthousiasme divin on peut la saisir, car cet enthousiasme est un moment d’anamnèse, c’est le moment où on arrive à revenir avec la mémoire aux idées que nous avons vues dans l’hyperouranion.
C’est ainsi que Socrate déplace l’enjeu de la discussion: il ne se laisse pas prendre dans le jeu des sophistes qui essayent de montrer leurs capacités, qui compètent pour voir qui est le plus intelligent, le plus brillant, le plus malin. C’est cela qu’on peut faire avec leur art qui n’en est pas un: faire des petits jeux mesquins, des compétitions inutiles et narcissiques. Socrate veut faire autre chose: il cherche une connaissance qui n’a rien d’humain et pour laquelle il n’y a pas de compétition.
Peut-être faudrait-il garder cela en tête à l’université, où comme des bons sophistes nous nous affolons à montrer que nous sommes meilleurs que les autres, où la rhétorique de l’excellence est aussi une victoire de l’individualisme le plus stupide. Il ne s’agit pas d’être meilleur que ses collègues, il s’agit de chercher ensemble de se faire prendre par l’enthousiasme, de se laisser envahir par les dieux dans la recherche de la connaissance.