In Platonis Phaedrum Scholia: 263a2-5
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Σωκράτης
ἆρ᾽ οὖν οὐ παντὶ δῆλον τό γε τοιόνδε, ὡς περὶ μὲν ἔνια τῶν τοιούτων ὁμονοητικῶς ἔχομεν, περὶ δ᾽ ἔνια στασιωτικῶς;
Φαῖδρος
δοκῶ μὲν ὃ λέγεις μανθάνειν, ἔτι δ᾽ εἰπὲ σαφέστερον.
Socrate
N'est-ce pas évident pour tous que sur certaines choses nous sommes d'accord, pour d'autres en désaccord?
Phèdre
Je crois comprendre ce que tu dis, mais explique-toi mieux.
Platon, Phèdre, 263a2-263a5
L’analyse que Socrate a promis ne démarre pas du texte, mais d’une considération qui semble n’avoir aucune relation avec les mots que Phèdre vient de lire. Socrate ne fait pas, en réalité, une analyse du texte, il s’en éloigne pour ensuite y revenir, mais de façon assez superficielle, comme on verra.
Le principe exposé ici est très large, un peu vague et sans doute toujours vrai car il a une structure quelque peu tautologique: sur certaines choses nous sommes d’accord, sur d’autres non. Parfois il pleut, parfois non. Cette affirmation est juste évidente et semble désigner tout simplement la structure logique du principe du tiers exclu: a ou non a.
Mais le sens est peut-être un peu plus profond. Le fait d’être en accord ou en désaccord est exprimé en grec avec deux adverbes qui ne sont pas vraiment l’un le contraire de l’autre.
Pour certaines choses, dit Socrate, nous avons la même compréhension: ὁμονοητικῶς ἔχομεν. ὁμονοητικῶς de manière à avoir la même compréhension, la même νόησις. Pour d’autres nous sommes factieux. L’adverbe utilisé est στασιωτικῶς. Nous restons d’un côté, nous restons partisans d’une faction et nous ne changeons pas d’idée. L’adverbe στασιωτικῶς vient de στάσις: immobilité.
Donc sur certains sujet nous avons une compréhensions identique: tout le monde pense la même chose. Sur d’autres sujets il y a des factions et chacun reste où il est, ne se laisse pas convaincre à changer d’avis pour créer un accord.
Notons que l’argument de Socrate n’est pas ontologique, mais épistémologique: ce ne sont pas les choses qui sont ambigües ou complexes, ce sont les êtres humains qui parfois comprennent de la même manière - et donc bien - et parfois créent des factions - et ne comprennent donc pas comme il faudrait. Il semblerait que la seule manière pour expliquer pourquoi des fois nous ne pensons pas la même chose sur un objet de connaissance est d’imaginer qu’il y a quelque chose de tendancieux, une mauvaise foi.
Le monde est un, la compréhension devrait être une, si elle est multiple cela signifie qu’il y a eu de la mauvaise foi.
L’impossibilité radicale de la multiplicité se fait sentir lourdement dans ce quelques mots de Socrate. C’est la violence d’une ontologie qui ne peut que justifier l’unité.
Pour aller au delà de cette unité, pour penser la multiplicité au delà d’une simple opposition de factions, il est justement nécessaire de prendre plus au sérieux la matérialité, ce que Socrate évite savamment ici en s’éloignant du texte que Phèdre vient de lire. Le Phèdre lutte dans cette tension complexe: d’une part l’idéalité d’une ontologie de l’unité et de l’autre la multiplicité de la matérialité. Les idées sont à la fois ce qui émerge dans des contextes matériels spécifiques et ce qu’on imagine fixé dans l’hyperouranion.