In Platonis Phaedrum Scholia: 251b10-c5
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Σωκράτης
ζεῖ οὖν ἐν τούτῳ ὅλη καὶ ἀνακηκίει, καὶ ὅπερ τὸ τῶν ὀδοντοφυούντων πάθος περὶ τοὺς ὀδόντας γίγνεται ὅταν ἄρτι φύωσιν, κνῆσίς τε καὶ ἀγανάκτησις περὶ τὰ οὖλα, ταὐτὸν δὴ πέπονθεν ἡ τοῦ πτεροφυεῖν ἀρχομένου ψυχή: ζεῖ τε καὶ ἀγανακτεῖ καὶ γαργαλίζεται φύουσα τὰ πτερά.
Socrate
Elle bouillonne dans toutes ses parties et elle jaillit et la souffrance des enfants qui font les dents qui vient autour des dents lorsqu'elles poussent correctement, cette démangeaison et cette irritation partout, c'est exactement ce que ressent l'âme lorsqu'elle commence à mettre les ailes: elle bouillonne et elle jaillit et elle s'excite lorsque les ailes poussent.
Platon, Phèdre, 251b10-251c5
La physiologie de l’âme continue avec une comparaison médicale explicite: la poussée des ailes est comme la poussée des dents chez les enfants. La situation de l’amoureux est donc une situation de son âme. Voilà ce qui est nouveau par rapport aux discours précédents: il ne s’agit pas d’un être humain qui perd le contrôle, mais d’un changement profond qui affecte son âme.
Nous sommes ici au cœur du paradoxe qui structure le Phèdre: le dualisme le plus radical se combine avec une omniprésence de la matérialité. D’une part la métaphysique de Platon met en place une division et une coupure nette entre le monde sensible et le monde intelligible. Cette coupure est en même temps une hiérarchie ontologique et métaphysique: d’une part les choses élevées, les choses qui sont vraies, les essences, l’Être, les idées, les âmes, les dieux. De l’autre le monde sensible avec ses apparences trompeuses et sa matérialité. L’immatérialité de l’intelligible opposée à la matérialité du sensible. La hauteur immatérielle, légère et sublime, et la matérialité lourde des choses fausses d’ici bas.
Mais pendant qu’il bâtit cette structure, Platon construit l’immatérialité avec de la matière. Les ailes de l’âme, les parties de celle-ci qui sont censées lui permettre d’atteindre cette hauteur immatérielle à laquelle elle appartient, ces ailes sont des dents d’enfants, elles poussent comme des dents, en provocant les mêmes réactions corporelles, les mêmes démangeaisons. L’âme qui s’oppose au corps, qui en est le tombeau, est en réalité, elle aussi, un corps.
Se profile donc un carré sémantique composé par ψυχή, σῶμα et λόγος, σῆμα. L’immatérialité qui représente la hauteur métaphysique d’un côté (l’âme et le λόγος) et la matérialité renvoie à la mort, à la lourdeur trompeuse du monde sensible qui empêche de voir la vérité, de l’autre (le corps et le signe). Mais comme pour l’âme qui s’oppose au corps pour être finalement, elle aussi, un corps, le signe écrit sera à la fois la mort du λόγος et sa seule possibilité d’existence. Le λόγος s’oppose au σῆμα et il est, en même temps, lui aussi, un σῆμα.