In Platonis Phaedrum Scholia: 244c6-d6
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Σωκράτης
ἐπεὶ καὶ τήν γε τῶν ἐμφρόνων, ζήτησιν τοῦ μέλλοντος διά τε ὀρνίθων ποιουμένων καὶ τῶν ἄλλων σημείων, ἅτ᾽ ἐκ διανοίας ποριζομένων ἀνθρωπίνῃ οἰήσει νοῦν τε καὶ ἱστορίαν, οἰονοϊστικὴν ἐπωνόμασαν, ἣν νῦν οἰωνιστικὴν τῷ ω σεμνύνοντες οἱ νέοι καλοῦσιν: ὅσῳ δὴ οὖν τελεώτερον καὶ ἐντιμότερον μαντικὴ οἰωνιστικῆς, τό τε ὄνομα τοῦ ὀνόματος ἔργον τ᾽ ἔργου, τόσῳ κάλλιον μαρτυροῦσιν οἱ παλαιοὶ μανίαν σωφροσύνης τὴν ἐκ θεοῦ τῆς παρ᾽ ἀνθρώπων γιγνομένης.
Socrate
Après aussi l'art de ceux qui sont lucides et qui lisent le futur à partir des oiseaux et d'autres signes, en donnant intelligence et informations à l'opinion humaine grâce à la raison, ils l'ont appelée oionoïstiké (art de conjecturer), et les jeunes l'appellent "oionistiké" en ajoutant un oméga imposant: tu vois donc combien la mantique est plus parfaite et plus digne d'honneur que l'art de conjecturer, le nom et les effets de l'une sont supérieurs au nom et aux effets de l'autre, et tu vois de combien les anciens considèrent la manie supérieure à la raison, la première venant d'un dieu et la seconde des hommes.
Platon, Phèdre, 244c6-244d6
Continuent les jeux de Socrate avec les fausses étymologies. L’étymologie sert comme une sorte d’argument d’autorité, pour empêcher la mise en question d’une affirmation: sa vérité est inscrite dans le nom lui-même. Et donc maintenant il faut justifier une autre hiérarchie: l’art mantique, l’art de prédire le futur dans un état de manie est supérieure à une autre forme de technique pour prédire le futur: l’oionistique.
Tout d’abord expliquons ce qu’était l’oionistique: c’était en effet une technique pour prédire le futur en se basant sur des signes, notamment la lecture du passage des oiseaux. Son nom vient en effet de là: οἰωνός signifie oiseau, οἰωνίζομαι signifie observer le vol des oiseaux pour en tirer des augures et οἰωνιστικός est en effet l’adjectif. D’où l’oméga - qui est dans le mot οἰωνός. Cet art est en quelque sorte déductive: on déchiffre des signes, on s’appuie sur la raison, alors que la mantique ne se base pas sur des raisonnements ni sur des capacités de compréhension, mais plutôt sur le fait d’être possédé par un dieu. Le divin qui interprète le vol des oiseaux est lucide, il utilise sa propre technique et son propre intellect. Le divin de l’art mantique est hors de lui, possédé, il ne sait pas ce qu’il dit, il n’a aucune rationalité.
Socrate s’amuse à faire dériver “oionistique” de trois mots: οἴησις (opinion), νοῦς (intellect) et ἱστορία (information). En composant les trois mots on construit : “oio-no-ist-iké” qui ressemble a “oionistiké”, mais avec un omicron à la place du oméga et un hiatus pour séparer le o du i. Et toujours les mauvais modernes qui ruinent tout pour donner de l’importance aux mots! Le remplacement d’un omicron - un petit o, à la lettre - par un oméga - un grand o - serait dû à l’arrogance des modernes.
On est clairement dans le jeu, dans la raillerie. Socrate se moque de nous, de Phèdre et, encore une fois, des dieux.
Avec ce jeu, par contre, Socrate fait passer une idée qui renverse complètement le fondement même des deux discours précédents - et surtout du sien: la rationalité est inférieure et non supérieure à la folie. Ici sont clairement opposés la μανία et la σωφροσύνη. La σωφροσύνη, présentée avant comme la plus grande qualité des êtres humains, la tempérance opposée à la démesure, devient ici la petite rationalité humaine, limitée et bornée devant la grandeur des dieux qui ne peuvent que parler à travers la folie.