In Platonis Phaedrum Scholia: 241d6-9
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Φαῖδρος
καίτοι ᾤμην γε μεσοῦν αὐτόν, καὶ ἐρεῖν τὰ ἴσα περὶ τοῦ μὴ ἐρῶντος, ὡς δεῖ ἐκείνῳ χαρίζεσθαι μᾶλλον, λέγων ὅσα αὖ ἔχει ἀγαθά: νῦν δὲ δή, ὦ Σώκρατες, τί ἀποπαύῃ;
Phèdre
Pourtant je croyais qu'il était à moitié, et que tu dirais les mêmes choses sur celui qui n'aime pas et sur le fait qu'il faut le préférer, en expliquant quels sont les biens qu'il fait. Pourquoi tu t'arrêtes donc, Socrate?
Platon, Phèdre, 241d6-241d9
Phèdre a bien compris que la plus grande qualité du discours de Socrate est sa structure. Une structure géométrique, dont la rationalité émerge grâce à la forme harmonieuse. Socrate a présenté son plan, a analysé la nature des êtres humains en identifiant deux principes, il a défini l’amour par rapport à ces deux principes et a montré comment de l’amour découlent les maux de la démesure dont il est une expression - ou mieux, la plus haute expression.
La surprise de Phèdre est donc grande lorsqu’il constate un manque grave de symétrie et d’harmonie: le discours est coupé à moitié, manque une partie. Après avoir analysé ce qui dérive de l’amour - la plus forte des démesures - il est en effet nécessaire d’illustrer ce qui dérive du non amour. Est-ce que le non amour correspond au principe de la mesure et de la recherche rationnelle de ce qui est bien? Il faudrait donc lister les biens qui dérivent de cette seconde situation. Ce manque a une valeur presque métaphysique: il détruit la structure binaire sur laquelle Socrate fondait ontologiquement le discours. Le dualisme des deux principes qui régissent les êtres humains tombe à l’eau si le discours est coupé à moitié.
Et c’est peut-être justement cette symétrie la raison du silence de Socrate. Jusqu’à quel point est-il prêt à aller dans son sacrilège? Serait-il capable d’identifier le non amour avec la rationalité? Car jusqu’ici, finalement, le blasphème le plus grave est d’identifier l’amour avec une forme démesurée de désir. Cela pourrait n’être qu’une erreur due à une mauvaise définition - et la fausse étymologie pourrait presque excuser cette erreur. Mais s’il allait plus loin, en identifiant la raison avec l’absence d’amour, Socrate risquerait de rendre trop grave son blasphème pour pouvoir le rétracter. La pudeur de Socrate réapparaît donc ici.
Phèdre n’a probablement rien compris de cette pudeur et de cette honte de Socrate. Il continue son jeu, il s’amuse et n’a pas été choqué par le blasphème.