In Platonis Phaedrum Scholia: 241c8-d2
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Σωκράτης
ταῦτά τε οὖν χρή, ὦ παῖ, συννοεῖν, καὶ εἰδέναι τὴν ἐραστοῦ φιλίαν ὅτι οὐ μετ᾽ εὐνοίας γίγνεται, ἀλλὰ σιτίου τρόπον, χάριν πλησμονῆς, ὡς λύκοι ἄρνας ἀγαπῶσιν, ὣς παῖδα φιλοῦσιν ἐρασταί.
Socrate
Tu dois donc comprendre et savoir, cher enfant, que l'amitié d'un amoureux ne vient pas de la bienveillance, mais de la faim qui cherche la satisfaction: les amoureux aiment les enfants comme les loups aiment les agneaux.
Platon, Phèdre, 241c8-241d2
Le discours se termine avec une phrase à effet. L’argument final est nouveau et n’a jamais vraiment été développé: l’amour n’est pas un sentiment altruiste, mais égoïste, l’attachement de l’amoureux à l’aimé ne dérive pas du fait que l’amoureux veut le bien de l’aimé, mais du fait qu’il veut le posséder, il le désire. Il l’aime donc comme les loups aiment les agneaux.
La φιλία est ici vue sous deux angles opposés, ce qui semble assez peu commun. Normalement la φιλία est un sentiment bienveillant, justement de l’amitié, qui ne devrait pas cacher des intérêts - et qui ne se fonde pas sur le désir. Si l’amour peut avoir un sens ambigu, on s’attend moins à cette ambiguïté pour l’amitié. Mais le terme φιλία peut renvoyer à quelque chose de plus large: un attachement quelconque, une prédilection et donc aussi un certain type de désir. La φιλία, nous dit Socrate, peut en effet être une forme de bienveillance - c’est le sens du terme εὐνοία, bonne pensée, bonne intention - mais elle peut aussi être une forme d’appétit, une faim qui demande à être satisfaite. C’est le cas de l’amour qui serait donc ici une forme de φιλία portée par le désir et la volonté de posséder.
La phrase sur les loups et les agneaux clôt le tout avec une touche de poésie. Hermias dit que c’est une sorte de citation de l’Iliade (22,261-4)
Ἕκτορ μή μοι ἄλαστε συνημοσύνας ἀγόρευε: ὡς οὐκ ἔστι λέουσι καὶ ἀνδράσιν ὅρκια πιστά, οὐδὲ λύκοι τε καὶ ἄρνες ὁμόφρονα θυμὸν ἔχουσιν, ἀλλὰ κακὰ φρονέουσι διαμπερὲς ἀλλήλοισιν,
Hector désagréable ne me parle pas d’accords comme il n’y a pas de serments fiables entre les lions et les hommes ni les loups et les agneaux ont des sentiments accordés, mais pensent tout le temps des maux les uns pour les autres.
C’est la réponse d’Achille à Hector, avant le combat où ce dernier trouvera la mort. Un passage fondamentale de l’Iliade, très connu. Hector vient de demander à Achille de faire un accord: celui qui tuera l’autre rendra le corps de l’adversaire aux siens. Mais Achille ne veut pas d’accord, son inimitié est métaphysique et elle ne présuppose pas le respect des règles qu’impose le fait de faire partie de la même espèce. Hector n’est pas un être humain pour Achille, juste un ennemi, il fait donc partie d’une race différente. C’est dans ce cadre qu’est citée la relation entre loups et agneaux - même s’il n’est ici pas question de faim ni de φιλία.
Peut-être Socrate avait-il en tête ces vers, peut-être un dicton ou autre chose. Reste que la phrase est presque un hexamètre, si on élide ἄρνας en ἄρν’:
ὡς λύκοι ἄρν’ἀγαπῶσιν, ὣς παῖδα φιλοῦσιν ἐρασταί.
Socrate, comme il le dira dans quelques répliques, est passé du dithyrambe à l’épique.