In Platonis Phaedrum Scholia: 240c9-e8
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Σωκράτης
νεωτέρῳ γὰρ πρεσβύτερος συνὼν οὔθ᾽ ἡμέρας οὔτε νυκτὸς ἑκὼν ἀπολείπεται, ἀλλ᾽ ὑπ᾽ἀνάγκης τε καὶ οἴστρου ἐλαύνεται, ὃς ἐκείνῳ μὲν ἡδονὰς ἀεὶ διδοὺς ἄγει, ὁρῶντι, ἀκούοντι, ἁπτομένῳ, καὶ πᾶσαν αἴσθησιν αἰσθανομένῳ τοῦ ἐρωμένου, ὥστε μεθ᾽ ἡδονῆς ἀραρότως αὐτῷ ὑπηρετεῖν: τῷ δὲ δὴ ἐρωμένῳ ποῖον παραμύθιον ἢ τίνας ἡδονὰς διδοὺς ποιήσει τὸν ἴσον χρόνον συνόντα μὴ οὐχὶ ἐπ᾽ ἔσχατον ἐλθεῖν ἀηδίας—ὁρῶντι μὲν ὄψιν πρεσβυτέραν καὶ οὐκ ἐν ὥρᾳ, ἑπομένων δὲ τῶν ἄλλων ταύτῃ, ἃ καὶ λόγῳ ἐστὶν ἀκούειν οὐκ ἐπιτερπές, μὴ ὅτι δὴ ἔργῳ ἀνάγκης ἀεὶ προσκειμένης μεταχειρίζεσθαι, φυλακάς τε δὴ καχυποτόπους φυλαττομένῳ διὰ παντὸς καὶ πρὸς ἅπαντας, ἀκαίρους τε ἐπαίνους καὶ ὑπερβάλλοντας ἀκούοντι, ὡς δ᾽ αὕτως ψόγους νήφοντος μὲν οὐκ ἀνεκτούς, εἰς δὲ μέθην ἰόντος πρὸς τῷ μὴ ἀνεκτῷ ἐπαισχεῖς, παρρησίᾳ κατακορεῖ καὶ ἀναπεπταμένῃ χρωμένου;
Socrate
Un vieux qui fréquente un jeune en effet ne le laisse jamais volontiers, ni de jour ni de nuit, mais est porté par la nécessité et par le fou désir qui le pousse, en lui faisant toujours plaisir, à regarder, écouter, toucher et percevoir avec tous les sens l'aimé, ainsi que, collé à lui, il le sert avec plaisir; mais quelle consolation et quels plaisirs il apportera à l'aimé pour éviter qu'il n'atteigne le plus haut dégoût pendant tout le temps qu'ils passent ensemble? Il voit sa vieille image qui n'a plus de jeunesse, avec tout ce qui va avec, choses déjà désagréables à dire, et encore plus à mettre en pratique sous contrainte constante, il surveille partout et devant tout le monde ceux qui le regardent avec suspicion, il écoute des louanges inappropriés et exagérées ainsi que des blâmes pas acceptables quand l'amoureux est sobre, mais qui, quand il a beaucoup bu, d'inacceptables deviennent honteuses, car il est saisi par une façon de parler démesurée et explicite.
Platon, Phèdre, 240c9-240e8
La nécessité, la contrainte l’obligation. L’amoureux est collant, il est impossible de l’éloigner. Il est porté par la nécessité et par le désir, car l’amour rend fou, empêche de se contrôler. Ce comportement devient une prison pour l’aimé, une prison qui va provoquer son dégout (ἀηδία).
La description des éléments qui provoquent ce dégout est très réussie et très belle d’un point de vue littéraire. L’ensemble des situations que doit supporter l’aimé sont exprimées avec une série de participes accordés au datif avec l’aimé (τῷ δὲ δὴ ἐρωμένῳ). La structure syntaxique est impossible à rendre en français; il s’agit d’une seule phrase où la question continue en décrivant les différentes situations: quelle consolation et quels plaisirs il apportera à l’aimé qui… voit la triste vieille image, surveille, écoute… La tirade laisse à bout de souffle, elle assomme le lecteur - ou celui qui écoute - avec une série d’horreurs qui tombent sur la tête du pauvre aimé.
Il s’agit d’une liste, mais la façon de la concevoir syntaxiquement est une prouesse de style de la part de Socrate qui détruit avec cette longue phrase les juxtapositions maladroites de son concurrent Lysias.
Je n’ai pas les compétences linguistiques et historiques suffisantes pour en être sûr, mais il me semble que cette phrase porte fortement la marque de l’écriture; il me semble impossible de la considérer comme une phrase faite à l’oral. C’est une phrase construite, relue, retouchée, travaillée. C’est la phrase d’un écrivain. Mais cet écrivain qui met en avant ici son style pour gagner une compétition, est le même qui, dans le même dialogue, condamnera sans appel l’écriture.