In Platonis Phaedrum Scholia: 240a10-c1

μίγνυμι

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Σωκράτης
ἔστι μὲν δὴ καὶ ἄλλα κακά, ἀλλά τις δαίμων ἔμειξε τοῖς πλείστοις ἐν τῷ παραυτίκα ἡδονήν, οἷον κόλακι, δεινῷ θηρίῳ καὶ βλάβῃ μεγάλῃ, ὅμως ἐπέμειξεν ἡ φύσις ἡδονήν τινα οὐκ ἄμουσον, καί τις ἑταίραν ὡς βλαβερὸν ψέξειεν ἄν, καὶ ἄλλα πολλὰ τῶν τοιουτοτρόπων θρεμμάτων τε καὶ ἐπιτηδευμάτων, οἷς τό γε καθ᾽ ἡμέραν ἡδίστοισιν εἶναι ὑπάρχει: παιδικοῖς δὲ ἐραστὴς πρὸς τῷ βλαβερῷ καὶ εἰς τὸ συνημερεύειν πάντων ἀηδέστατον.

Socrate
Il y a aussi d'autre maux, mais un démon a mélangé à la plupart d'eux un certain plaisir éphémère, comme par exemple à l'adulateur, qui est une bête horrible et une énorme disgrâce, la nature a mélangé un certain plaisir qui n'est pas sans charmes; et il est possible de condamner une prostituée comme quelque chose de très nuisible, ainsi que d'autres créatures et affaires du même type, qui pourtant, de façon éphémère, sont très agréables; mais pour les jeunes l'amoureux outre qu'être le plus nuisible, est aussi désagréable à fréquenter.

Platon, Phèdre, 240a10-240c1

Le mélange de bien et de mal est une idée fondamentale pour expliquer le pourquoi du mal. Le mal semble en effet impossible, inadmissible, injustifiable. Cela est vrai de plusieurs points de vues (ontologique, logique, éthique etc.) mais ici on se concentre sur le point de vue plus spécifiquement moral: pourquoi vouloir quelque chose de mal? Pourquoi désirer le mal si le mal procure du mal?

Les réponses possibles sont fondamentalement deux: ou bien le mal n’est pas connu en tant que tel ou bien il n’est pas un mal absolu.

Dans la première hypothèse, une personne peut vouloir le mal simplement parce qu’elle ne sait pas que c’est un mal ou elle n’en comprend pas la nature. Je crois faire mon bien, mais en réalité je fais mon mal. C’est le principe de l’intellectualisme éthique - auquel en partie Platon semble adhérer: on ne peux que vouloir le bien car le mal est toujours un mal absolu et donc c’est aussi un mal pour celui qui le veut; or personne ne peut vouloir son mal; donc quand on fait le mal c’est juste parce que l’on ne comprend pas que c’est le mal. Selon cette perspective connaître le bien correspond à le faire.

Selon la seconde hypothèse, un mal peut être un mal relatif: mal pour quelqu’un et bien pour quelqu’un d’autre, par exemple. Je te vole un bien: c’est un mal pour toi, mais c’est un bien pour moi. Cette perspective n’est en réalité pas acceptée par Platon. Un mal est toujours ontologiquement un mal absolu. Mais il peut provoquer l’illusion d’un bien.

La perspective que Socrate propose ici est entre les deux hypothèses donc: un mal est un mal, mais il peut tromper en faisant croire qu’il est partiellement un bien grâce au fait qu’il est mélangé (μίγνυμι), non pas à un bien, mais à un certain plaisir éphémère. Ce plaisir justifie le fait qu’on puisse chercher le mal: je mange trop de chocolat même si c’est un mal pour moi parce que cela me donne un plaisir au moment où je mange - même si après cela me fera être malade. Je cherche la compagnie d’une prostituée pour le plaisir que cela m’apporte - même si je sais que cette fréquentation n’est pas un bien pour moi.

Or, et c’est là le paradoxe et l’hyperbole du discours, l’amoureux non seulement est nuisible - comme le chocolat ou la prostituée - mais il n’apporte pas non plus de plaisirs. Il est désagréable. Pourquoi donc le vouloir? Pourquoi le chercher?

μίγνυμι scholia