In Platonis Phaedrum Scholia: 237d6-9
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Σωκράτης
δεῖ αὖ νοῆσαι ὅτι ἡμῶν ἐν ἑκάστῳ δύο τινέ ἐστον ἰδέα ἄρχοντε καὶ ἄγοντε, οἷν ἑπόμεθα ᾗ ἂν ἄγητον, ἡ μὲν ἔμφυτος οὖσα ἐπιθυμία ἡδονῶν, ἄλλη δὲ ἐπίκτητος δόξα, ἐφιεμένη τοῦ ἀρίστου.
Socrate
Il faut aussi savoir qu'en chacun de nous il y a deux principes qui commandent et agissent et que nous suivons là où ils nous conduisent; un est le désir inné des plaisirs, et l'autre l'opinion acquise qui porte à rechercher le meilleur.
Platon, Phèdre, 237d6-237d9
En mettant entre parenthèses la première rapide définition de l’amour, on passe à l’identification de deux principes qui déterminent le comportement humain. De l’ontologie de l’amour on passe à une sorte d’analyse des fondements de la morale. C’est cette analyse qui ramènera ensuite à une définition de l’amour.
Deux principes donc, qui forment une opposition: d’une part le désir (ἐπιθυμία, le mot qui vient d’être utilisé pour définir l’amour) des plaisirs et de l’autre l’opinion (δόξα) qui porte à rechercher le meilleur. L’une est innée (ἔμφυτος), l’autre acquise (ἐπίκτητος). L’opposition est donc parfaitement symétrique: d’une part ce qui est inné et qui tire vers la recherche du plaisir, de l’autre ce qu’on peut acquérir et qui permet de s’élever vers quelque chose de meilleur. Nous sommes devant une forme d’opposition entre nature et culture.
Ce qu’il faut souligner ici c’est le fondement métaphysique de cette pensée dualiste. Un fondement très profond dans la culture occidentale et peut-être encore plus particulièrement dans la culture grecque ancienne. La forme grammaticale même souligne cette profondeur métaphysique: en grec le duel - utilisé ici pour parler des deux principes - est une forme grammaticale du nombre qui s’ajoute au singulier et au pluriel pour la déclinaison des noms et la conjugaison des verbes. Le deux n’est donc pas pluriel, il est quelque chose d’autre, un principe à part entière.
À partir de la grammaire la pensée dualiste est donc nécessaire et inévitable. Ici c’est la langue qui pense, avant Socrate, avant Platon et avant le faux non amoureux. C’est la langue qui impose une structure métaphysique dont l’incarnation particulière - ici le principe de plaisir contre le principe de recherche du meilleur - est somme toute secondaire - on peut sans problème remplacer avec bien et mal, nature et culture, blanc et noir…
Ce dualisme comporte nécessairement une hiérarchie et un jugement de valeur: le principe de plaisir sera négatif, le principe de recherche du meilleur positif. Le dualisme tend toujours à un jugement de valeur.
Dépasser le dualisme ne signifie pas aller contre une particulière vision du monde, ou contre l’idée de quelques philosophes, mais combattre contre un principe inscrit profondément dans le langage, parlé par des langues, incarné dans des déclinaisons multiples et omniprésentes.
Le Phèdre peut, paradoxalement, être lu comme un dialogue antidualiste. C’est du moins l’objectif de ce commentaire.