In Platonis Phaedrum Scholia: 236b5-8
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Σωκράτης
ἐσπούδακας, ὦ Φαῖδρε, ὅτι σου τῶν παιδικῶν ἐπελαβόμην ἐρεσχηλῶν σε, καὶ οἴει δή με ὡς ἀληθῶς ἐπιχειρήσειν εἰπεῖν παρὰ τὴν ἐκείνου σοφίαν ἕτερόν τι ποικιλώτερον;
Socrate
Tu m'as pris au sérieux, Phèdre, parce que, pour te taquiner, je me suis attaqué aux choses que tu chéries, et tu penses que vraiment moi j'essayerai de dire quelque chose de plus complex en compétition avec la sagesse de celui-là?
Platon, Phèdre, 236b5-236b8
L’équilibre entre parler sérieusement (σπουδάζω) et plaisanter (ἐρεσχηλέω) est difficile à atteindre. Qui plaisante ici? Socrate qui défie la qualité du discours de Lysias (et de Lyisas lui-même) ou Phèdre qui parie montagnes d’or? Quelle affirmation est vraisemblable (ὡς ἀλητῶς)?
Le jeu entre les deux continue, le travail de séduction réapparaît et il est impossible de discerner ce qui est dit sérieusement de ce qui n’est que taquinerie. Socrate a provoqué Phèdre, en s’attaquant à Lysias, mais en même temps il a dit quelque chose de sérieux - et Phèdre s’en doute. Est-ce possible, en ce contexte, de poser les bases pour un pacte clair? Un contrat à la Lysias, est-il possible dans le cadre d’une relation amoureuse? Ce qui est ici performé, dans les échanges entre les deux personnages, est la négation même des présupposés du premier discours: non, l’amour n’est pas mesurable, ou du moins ce n’est pas ce type de mesure qui arrivera à saisir le concept. Est-ce que cela signifie pour autant que nous sommes devant un concept flou et immatériel? Probablement pas et c’est là le pari fondamental de Socrate: d’être capable de dire quelque chose de vrai, de précis, de concret et même de plus réel que ce qu’a dit Lysias, sans pour autant tomber dans ses calculs de comptable.
Dans ces échanges qui pourraient sembler anecdotiques se joue le fond de l’argumentation. Le cadre du dialogue prend finalement une place centrale, même plus importante que celle des discours eux-mêmes. Tous les éléments qui se trouvent dans le contexte participent à la production du sens. La matérialité du discours est là: l’ensemble des forces en jeu, la totalité du contexte. Il n’y a pas de discours isolé, il n’y a pas de sens abstrait d’une conjoncture complexe d’éléments contextuels. Et c’était peut-être là le plus grand défaut du discours de Lysias, de ce discours portatif qu’on peut lire et déployer n’importe où et n’importe quand. Socrate redonnera un contexte, il regardera tout ce qui est autour et c’est dans ces éléments apparemment périphériques que se manifestera la matérialité de sa pensée.