In Platonis Phaedrum Scholia: 234e9-235a1
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Σωκράτης
εἰ γὰρ δεῖ, συγχωρητέον χάριν σήν, ἐπεὶ ἐμέ γε ἔλαθεν ὑπὸ τῆς ἐμῆς οὐδενίας: τῷ γὰρ ῥητορικῷ αὐτοῦ μόνῳ τὸν νοῦν προσεῖχον, τοῦτο δὲ οὐδ᾽ ἂν αὐτὸν ᾤμην Λυσίαν οἴεσθαι ἱκανὸν εἶναι.
Socrate
S'il le faut, j'y consetirai par égard pour toi, parce qu'à moi il m'est echappé à cause de ma nullité: en faisant attention au seul aspect rhétorique, je pensais que même pas Lysias lui-même pensait que celui-là était suffisant.
Platon, Phèdre, 234e9-235a1
S’il le faut. S’il faut louer ce discours et dire qu’il dit tout ce qu’il faut. S’il y a une nécessité qui impose ce point de vue. S’il y a, donc, une raison suffisante pour dire que Lysias est le bon, le meilleur. Mais c’est justement la question: qu’est-ce qui ferait de Lysias le meilleur? Quelle est la raison suffisante pour qu’on choisisse Lysias parmi d’autres?
Socrate dévoile la pétition de principe: si Phèdre veut dire que Lysias est le meilleur parce qu’il a déjà décidé qu’il est le meilleur, alors on peut le dire; la cause et l’effet seront une seule chose.
Socrate feint qu’il serait prêt à affirmer que le discours de Lysias est parfait, par égard pour Phèdre: χάριν σήν. C’est du moins ce qu’on peut imaginer en lisant la suite de la réplique. χάριν σήν pourrait aussi signifier, plus simplement: pour te faire plaisir. Pour te faire plaisir, je dirai tout ce que tu veux, mais sans y croire un instant. Mais la suite de la réplique suggère que Socrate est prêt à admettre de ne pas avoir bien compris: il dit qu’il a pu ne pas saisir le sens du discours à cause de sa nullité (οὐδενία). Bien évidemment nous sommes ici, encore une fois, face à l’ironie socratique, mais ce n’est pas pour autant de la fausse modestie. Il affirme qu’il est nulle, il n’est pas sage, il est perdu, il ne sait rien. Il le croit. Mais il croit aussi que cette nullité est la seule sagesse possible. Sa nullité ici consiste dans le fait d’avoir dirigé son intellect vers un seul aspect du discours: sa rhétorique. Tout le reste lui a échappé parce qu’il ne pensait pas qu’il y avait quelque chose à saisir. Sa nullité consiste dans le fait d’avoir sélectionné ce qu’il allait écouter. Sa nullité est le préjugé - presque herméneutique - qui a orienté sa compréhension. Mais le préjugé est la condition de possibilité pour toute compréhension. L’orientation préalable de la compréhension est toujours préjudiciable et nécessaire. Le préjugé socratique comprend un autre aspect: il pense que Lysias pense que le discours n’est pas bon. Intéressant cette double pensée: Socrate attribue une pensée à Lysias, il pense qu’il pense, et cette idée que Lysias devrait avoir consiste à ne pas considérer le discours suffisant (ἰκανός). Lysias, pense Socrate, ou du moins il dit penser, pense que le discours ne dit pas tout, il n’est pas suffisant et donc il n’est pas bon, pas assez bon.
On peut déduire de ce passage la vision que Platon a des sophistes: ils sont conscients du fait que leur démarche est une imposture.