In Platonis Phaedrum Scholia: 232b7-c4

φιλία, paralogisme

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Φαῖδρος
καὶ μὲν δὴ εἴ σοι δέος παρέστηκεν ἡγουμένῳ χαλεπὸν εἶναι φιλίαν συμμένειν, καὶ ἄλλῳ μὲν τρόπῳ διαφορᾶς γενομένης κοινὴν ἂν ἀμφοτέροις καταστῆναι τὴν συμφοράν, προεμένου δέ σου ἃ περὶ πλείστου ποιῇ μεγάλην ἄν σοι βλάβην ἂν γενέσθαι, εἰκότως ἂν τοὺς ἐρῶντας μᾶλλον ἂν φοβοῖο: πολλὰ γὰρ αὐτούς ἐστι τὰ λυποῦντα, καὶ πάντ᾽ ἐπὶ τῇ αὑτῶν βλάβῃ νομίζουσι γίγνεσθαι.

Phèdre
Et si t'as eu peur en pensant qu'il est difficile que l'amitié dure, et que normalement, lorsqu'un différend survient, une commune souffrance en dérive pour tous les deux, tandis que là, si tu as cédé ce que tu tiens en plus grande considération, c'est toi qui subirais un grand dommage, vraisemblablement tu devrais craindre davantage les amoureux: ils ont en effet beaucoup de chagrins, et ils considèrent que tous s'additionnent à leur propre dommage.

Platon, Phèdre, 232b7-232c4

J’ai du mal à comprendre cet énième argument. Peut-être à cause de la complexité du texte, peut-être parce que le raisonnement n’est pas complètement logique. Je vais essayer de le reconstruire.

Que se passe-t-il lorsque l’amitié finit et qu’on se sépare? Voici la crainte qui pourrait surgir, et voici encore une opposition: normalement (ἄλλῳ μὲν τρόπῳ, d’une autre manière, à savoir si les choses se passent différemment par rapport à ce que Lysias propose et donc si on se donne à quelqu’un qui aime) les deux parts subissent une même souffrance, car ils sont tous les deux engagés dans la relation; mais dans le cas d’un non amoureux, le dommage serait tout pour le non aimé, car le non aimé a donné ce qui lui tient le plus à coeur, tandis que le non amoureux n’a rien donné. Mais cette crainte n’est pas fondée, car en réalité les amoureux penseront toujours avoir subit un dommage plus grand, car ils ont toujours des peines.

Deux questions se posent dans ce raisonnement. En premier lieu: c’est quoi la fin de l’amitié dans le cas d’une relation entre deux personnes qui ne s’aiment pas? C’est la question du principe de raison suffisante qui se pose à nouveau. Pourquoi ils sont ensemble s’ils ne s’aiment pas? Il doit y avoir une autre raison quelconque. L’amitié, la φιλία. On peut certes interpréter cette φιλία comme le simple fait qu’il y ait une relation. Mais encore: quelle est la nature de cette relation? Pourquoi cette relation existe-t-elle? Quelle en est la raison? En deuxième lieu: qu’est-ce que cette chose que l’aimé tient autant à coeur et qu’il cède? Probablement son corps? Ses faveurs sexuels?

Quoiqu’il en soit, il est ici encore question de mesurer qui donne quoi, qui a donné combien et de décider si on est quitte ou pas. Ce qu’il faut absolument éviter, c’est d’avoir une des deux parts qui a donné ou reçu davantage Or, dans le cas de la relation amoureuse, semble dire Lysias, il y a d’un côté quelqu’un qui aime et de l’autre quelqu’un qui est aimé. Dans l’échange entre les deux parts l’aimant donne son amour et l’aimé donne son corps (ce à qui il tient le plus). À la fin de la relation, l’aimant perd son amour et l’aimé a perdu son corps: les deux ont perdu quelque chose et ils sont donc quittes. Ils ont subi une souffrance commune. En revanche - c’est la possible crainte de celui qui écoute le discours - si le non aimé donne son corps au non aimant, à la fin de la relation le non aimant n’aura rien à perdre, car justement il n’y a pas d’amour sur le plat de la balance. Alors que le non aimé a donné son corps et il a donc perdu dans l’échange.

Mais, nous dit Lysias, cela n’est pas vrai: car les amoureux en réalité pensent toujours avoir donné davantage, car ils additionnent leurs chagrins.

Or l’argument est boiteux, et cela est étonnant dans la bouche de Lysias toujours si précis dans la mesure des avantages et des inconvénients. En effet on est en train de comparer les réels avantages et inconvénients avec les inconvénients imaginés par les amoureux - dont on a déjà dit qu’ils ne savent pas raisonner. L’aimé a donné son corps et l’amoureux considère qu’il a donné davantage car à la perte de son amour il ajoute ses chagrins; donc il croit avoir donné davantage. C’est un argument déjà évoqué au début du discours, mais la première fois le fait que les amoureux se considèrent toujours redevables était utilisé pour affirmer qu’ils auraient moins donné à l’aimé. Mais ici on parle de la fin de la relation et donc le fait que les amoureux se considèrent créditeurs ne change rien à l’affaire: comme le dit la chanson napolitaine “chi ha dato ha dato e chi ha avuto ha avuto”.

C’est donc un paralogisme que Lysias glisse dans son discours

φιλία, paralogisme scholia