In Platonis Phaedrum Scholia: 227c8-d5

κομψεύω, ἀστεῖος, δημωφελής, Hérodicos

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Σωκράτης
ὢ γενναῖος. εἴθε γράψειεν ὡς χρὴ πένητι μᾶλλον ἢ πλουσίῳ, καὶ πρεσβυτέρῳ ἢ νεωτέρῳ, καὶ ὅσα ἄλλα ἐμοί τε πρόσεστι καὶ τοῖς πολλοῖς ἡμῶν: ἦ γὰρ ἂν ἀστεῖοι καὶ δημωφελεῖς εἶεν οἱ λόγοι. ἔγωγ᾽ οὖν οὕτως ἐπιτεθύμηκα ἀκοῦσαι, ὥστ᾽ ἐὰν βαδίζων ποιῇ τὸν περίπατον Μέγαράδε καὶ κατὰ Ἡρόδικον προσβὰς τῷ τείχει πάλιν ἀπίῃς, οὐ μή σου ἀπολειφθῶ.

Socrate
Mais quel noble esprit! Ah s'il avait écrit qu'il faut plutôt se donner à un pauvre qu'à un riche, à un vieux qu'à un jeune, et toutes les autres qualités qui sont les miennes - ainsi que celles de la plupart des gens: là les discours auraient été bien élégants et d'utilité publique! Je suis tellement pris par le désir d'écouter que même si tu voulais marcher jusqu'à Mégare et, comme Hérodicos, une fois arrivé aux murs revenir en arrière, je ne te laisserais pas.

Platon, Phèdre, 227c8-227d5

Il faut être raffiné. L’art de Lysias est d’ergoter, de trouver des arguments complexes et élégants (κομψεύω) pour démontrer l’indémontrable. Et ça c’est tellement branché!

Socrate accepte de jouer le jeu jusqu’au bout et utilise justement le mot ἀστεῖος, citadin, pour se référer à cette élégance de Lysias. Citadin opposé à provincial. On revient à la question de l’espace et de l’emplacement: rester à l’intérieur des murs ou en sortir? Lysias est branché et donc il est de la ville. Il est en ville, il parle pour les élites élégantes. Mais, encore la contradiction interne, cette élégance consiste finalement à faire l’éloge des caractéristiques les plus communes et donc de la vulgarité. L’élégance devient d’utilité publique (δημωφελής) et donc destinée au peuple. Autre ambiguïté du dialogue, entre élitisme et démocratie.

En tout cas, le fait de parler d’être citadin, nous ramène à la question des promenades à la campagne: pour écouter, pour avoir accès à cette forme particulière de λόγος qu’est la voix, la parole, Socrate est prêt à sortir de la ville, à arriver aux murs d’une autre ville - à 70 milles d’Athènes - et revenir. L’écoute, la parole, la voix et donc le λόγος sont situés matériellement dans un espace concret. Et cette espace produit le sens du λόγος: élégant et raffiné, démocratique et populaire, élitiste ou vulgaire, à l’intérieur ou à l’extérieur. Le λόγος est à la fois matière et discours, ou mieux, il n’y a pas de discours sans matière et la matière est du discours. Matter matters, dirait Karen Barad.

Par ailleurs: où finit le discours et où commence le corps de celui qui le prononce? Cette frontière entre être humain et λόγος est aussi questionnée ici, à nouveau, pour la deuxième fois. Phèdre avait déjà donné le nom d’un médecin: pour parler d’où il était en train d’aller, il avait cité Acuménos et ses recommandations salutaires. Maintenant c’est Socrate qui met en place la même association entre la possibilité d’émergence d’un λόγος et la condition physique d’un corps: il cite les recommandations d’Hérodicos, le premier “médecin du sport”, celui qui préconisait l’activité physique quotidienne à des fins de santé.

Le λόγος est la conjoncture de multiples forces et éléments matériels: une voix ou un papyrus, un corps qui énonce ou qui écrit, une position - assise, débout ou, comme nous verrons, allongée -, un emplacement - à l’intérieur, à l’extérieur, dans une ville ou à la campagne -, un mouvement, un déplacement, une condition physique - fatigue, ou vigueur…

Le λόγος est matérialité - bien avant de devenir chair (σάρξ).

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