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Podcast avec Hugo Pradelle, co-organisateur du Salon de la Revue

32º Salon de la Revue – Paris, 16 octobre 2022

Est-ce que vous pourriez vous présenter, s’il vous plaît ?

Je suis Hugo Pradelle, je travaille à Ent’revues, avec Yannick nous organisons le Salon. Moi, plus spécifiquement, je m’occupe de la programmation des différentes rencontres sur les deux jours (il y a une trentaine de rencontres), c’est une de mes fonctions. Par ailleurs, je suis le codirecteur d’un journal en ligne qui s’appelle En attendant Nadeau et je suis prof à Sciences po.

Prof de quoi ?

Autour de la littérature contemporaine, j’essaye de débourrer le crâne d’étudiants sciencespistes et de leur expliquer qu’il faut lire des livres.

On peut le faire de temps en temps. Puisque vous avez parlé justement de vos fonctions au sein d’Ent’revues et d’En attendant Nadeau, est-ce que vous pouvez parler aussi un peu de votre travail de critique littéraire et de la dimension critique notamment d’En attendant Nadeau ?

Oui, le principe dans la création d’En attendant Nadeau et son principe directeur c’est de considérer ce qui nous interroge dans le monde, dans le réel, dans les relations sociales, politiques, esthétiques, tout ce qui peut interpeller qui que ce soit qui a un cerveau, mais de toujours penser par le biais d’autre chose, c’est-à-dire qu’on part toujours des livres pour parler, on ne prend pas un parti, on n’ordonne pas une pensée préétablie ou préconçue, mais on se glisse dans le hasard du calendrier de nos publications, dans ce qui nous arrive et dans ce qui anime le champ présent de l’édition, que ce soit en sciences humaines, en littérature, en poésie, ou n’importe quoi et, à partir de là, de projeter un regard qui, collectivement, puisque c’est un journal qui est très fourni en collaborateurs avec une rédaction très ample, de pouvoir penser un peu notre situation dans le monde au travers des livres dans une temporalité qui est un peu à côté de celle des événements qui nous assaillent en permanence et qui nous contraignent à une forme d’urgence permanente, de réaction permanente. C’est, donc, de prendre un peu de champ et d’articuler en même temps du pur présent, de ce qui se passe, et puis une réflexion un peu plus en cours et qui s’inscrit dans une histoire ancienne, puisqu’on est un groupe qui travaille ensemble depuis maintenant… En attendant Nadeau n’a que sept ans, mais cette équipe-là existe depuis la fin des années soixante, donc c’est vraiment une histoire longue.

Là vous avez parlé de la centralité du livre, mais on est au Salon de la Revue, et pour Ent’revues c’est quand même la revue des revues. Comment faire dialoguer cette centralité du livre et le monde des revues aussi ?

Vous distinguez livre et revue et je ne suis pas absolument convaincu qu’il faille. Moi j’aurais plutôt une tendance à penser en termes de textes, de formes de textes et d’action du texte, d’intervention par l’écrit dans le monde. Ça peut prendre plein de formes, qui vont d’expériences esthétiques un peu radicales jusqu’à de la science humaine hyper pointue, la psychanalyse, enfin, peu importe le sujet, mais qu’en tout cas, des gens interviennent dans le champ du monde, que ce soit le champ social ou le champ intellectuel et qui choisissent des modalités différentes, et elles ne sont pas du tout, à mon avis, concurrentes, elles sont complémentaires. Souvent, les revues peuvent être conçues (c’est un bon moyen de les penser je crois) comme des laboratoires, des incubateurs. On est dans une société hyper libérale, économiquement très capitaliste, dans laquelle on promeut comme ça, en permanence, l’intervention ou la création, par des petits groupes de gens, d’une forme d’intelligence collective (la Silicon Valley ou Sophia-Antipolis pour le dire vite), et, en fait, je crois que les revues elles sont là, et elles ont un rôle qui est d’autant plus important à mon avis : c’est que, contrairement aux livres, (je pense que c’est ça qui les distingue), elles promeuvent une activité collective, quasiment toutes les revues. Il y a des revues qui sont des objets particuliers, qui ont un seul animateur, elles se comptent quand même sur les doigts des deux mains depuis cinquante ans. La réalité c’est que c’est aussi un lieu qui fait du texte un lieu de socialité, un lieu de production collective, d’interrogation et de remédiation permanente. D’ailleurs, la majorité de gens qui font des revues lisent des livres et/ou en écrivent et, donc, c’est un champ particulièrement agité de la production de textes. Des textes, des images, et leur relation, on peut penser ça à l’infini. Et, donc, effectivement, ce n’est pas une concurrence, je crois, c’est une forme de cousinage qui fonctionne, et puis il y a ce côté avec les revues qui est, effectivement, un truc très émulsif, et le Salon essaye de représenter ça : c’est à la fois accueillir plein de gens qui ont besoin de parler et n’ont pas beaucoup d’espaces, et, en même temps, de les penser ensemble parce qu’en fin de compte ça fait des communautés, ça fait une sorte de communauté amicale dans laquelle il y a une convivialité qui est particulière qu’on trouve dans peu de salons, je trouve, c’est un peu la marque du Salon de la Revue, d’être sympathiques, intelligents, un peu pointus, parfois un peu chiants, mais, en même temps, chaleureux et énergiques.

On va faire une petite question en aparté. Personnellement, ce qui m’intéresse dans Sens Public c’est qu’il y a vingt ans, c’était révolutionnaire de faire une revue numérique. Aujourd’hui, après la pandémie, je pense que le révolutionnaire c’est le papier, c’est le face-à-face, c’est l’échange, parce que c’est très facile de faire le tout distanciel aujourd’hui, de faire les choses à distance, on s’est accommodé dans un certain sens, et ce que montre le Salon de la Revue, notamment en comparaison avec d’autres années, c’est que ça bouge, qu’il y a du monde, et ça depuis plus de trente ans et vingt ans à la Halle des Blancs-Manteaux. En tout cas, depuis que j’y suis, il y a cinq ou six ans, cela se tient avec grand succès, y compris après la pandémie, voire encore plus. Comment expliquez-vous cela notamment à cette période où l’on nous dit à chaque fois que le format papier va disparaître ou au moins il est remis en cause ?

Je vais vous faire une réponse qui ressemble à la précédente. Ça s’est particulièrement accentué en France, il y a une forme de mise en concurrence permanente des idées ou une conflictualité. C’est comme si, si on était pour quelque chose, automatiquement on devait être contre autre chose. Ça c’est très français, c’est comme ça, ça fait partie du charme hexagonal, sauf que c’est un peu faux, en fait. Et, exactement comme je le disais tout à l’heure, je vais faire la même réponse, c’est que moi je n’y vois pas ou je n’y vois trop pas une concurrence. Évidemment, il y a eu une rupture, une forme d’agression par rapport à une tradition de la part de l’apparition et du développement des supports numériques, mais ils ne sont pas du tout, à mon avis, concurrentiels. J’ai parlé tout à l’heure des formes d’intervention écrite, c’est la même chose. Tout d’un coup, on donne un texte à lire où l’on partage une idée. Il y a plein de moyens de le faire : on peut le faire sur Internet, on peut le faire sur papier, on peut le faire sur les deux, c’est sûrement maintenant une formule qui est très courante, parce qu’en fin de compte, on voit bien qu’on ne s’adresse pas au même type de lectorat, ou en tout cas à des lectorats qui n’ont pas les mêmes pratiques, les mêmes usages de la forme écrite, et cette rupture n’est pas du tout générationnelle, là aussi il y a encore un cliché comme quoi les jeunes seraient hyper connectés, ce n’est pas spécialement vrai : la majorité des jeunes revues qui se créent par des jeunes équipes sont, comme vous dites, peut être une forme de radicalité face au monde, parce que, quand on est mineurs, entre guillemets, on résiste, on se place contre, on se place en face, on recrée une conflictualité pour exister, pour faire réagir en face, et je crois qu’il y a eu un moment où Internet a été très important, puis cet usage-là est rentré dans les pratiques : il va depuis la manière dont on commande des vêtements sur internet jusqu’à comment on peut débattre du troisième alinéa du Tractatus Logico-Philosophicus de Ludwig Wittgenstein avec un taïwanais cinglé, bon, tout ça est possible, et ces modalités d’intervention-là elles sont cousines aussi. Ce qui est plus compliqué c’est que les formes numériques n’ont rien à proposer physiquement, donc venir dans un salon quand on est une forme numérique est toujours un peu complexe, parce que, que montre-t-on au public qui n’est pas, tout simplement, assis dans son coin de canapé très confortablement en mangeant une gaufre ? Mais il y a une forme de combinaison qui me semble intéressante, ça crée des temporalités de lecture qui sont différentes, il y a des formes de pause ou des formes d’accélération, c’est comme dans le monde dans lequel on vit, et tout ça on le vit, en fin de compte, comme un tout, et on diversifie nos pratiques. Il y a vingt ans, quand on écoutait la radio, il y avait le plaisir de prendre une émission au hasard, et c’est quelque chose que les gens ne font quasiment plus, à part le matin pour les infos, mais sinon on écoute un podcast, on écoute un replay, même quand on regarde Arte, on fait la même chose. Toutes ces pratiques-là ont changé, on nous annonce depuis quarante ans la fin du livre, la fin du cinéma. Je me rappelle quand on a fait le cinéma en 3D, c’était censé n’avoir plus de films, mais il y a eu cinquante films en 3D avec des lunettes, machin, et plus personne ne regarde des films avec des lunettes, ça existe, mais on regarde le cinéma comme il y a 35 ans, et je pense que dans 35 ans on regardera toujours le cinéma pareil. Et, donc, je pense qu’on lira des choses intelligentes, et ce qui est intéressant c’est qu’est-ce que les gens ensemble ont à dire dans le monde. Et puis, il y a ce jeu d’échelles avec les revues ; on recrée des communautés. On parle à des gens comme ça, et puis ça essaime, c’est assez beau. Et puis, un truc, effectivement qui contre un peu la temporalité hyper-rapide du monde où on switche, on zappe, voilà… il y a des gens qui prennent un peu de temps ensemble pour faire quelque chose qui prend un peu de temps, quel qu’il soit le champ dans lequel ils interviennent.

Et juste une dernière question : à un moment vous avez parlé de texte et image et vous êtes passé du texte à l’image en attribuant une sorte de valeur textuelle à l’image, et ce que nous on a noté en tant qu’observateurs aussi de ce Salon c’est que cette année en particulier il y a une attention spéciale aux images. Il y a beaucoup de revues d’images et qui se veulent des revues d’images.

Avant de parler des revues qui font de leur objet l’image, je crois qu’il faut noter tout de suite que c’est beaucoup plus facile techniquement de faire une revue aujourd’hui que ça ne l’était il y a vingt ans, parce que tout le monde a à sa disposition des outils, et on revient au numérique, qui permettent de faire les choses plus facilement ou de les faire soi-même. On n’a plus besoin d’avoir un graphiste qui coûte très cher, on est en relation directe avec son imprimeur, on négocie la qualité du papier, c’est beaucoup plus facile. Et, donc, il y a eu depuis une dizaine d’années une augmentation de belles revues, ou, en tout cas, des revues qui font très attention à la dimension esthétique de ce qu’elles présentent, et je crois que pour exister face au livre classique et pour trouver aussi une place en librairie il y a besoin, effectivement, de se faire remarquer, qu’il y ait des jeux de format, des jeux de formes, beaucoup de couleurs, une qualité de papier, une mise en page, un soin qui est beaucoup plus important qu’avant, en particulier chez les jeunes. Et là aussi, ça a forcé des vieilles revues vénérables à se dire « on ne peut plus faire une maquette toute grise et toute terne en pensant que le contenu va suffire, le contenu n’y suffit pas, il y a un besoin de forme ». Ça c’est la première chose. Puis, effectivement, il y a plein de revues qui interviennent directement sur l’image. D’ailleurs, cette année on a fait un rang, une allée au fond du Salon consacrée à des revues un peu bizarres. Dans En attendant Nadeau, d’ailleurs, il y a une série d’entretiens qui s’appelle Drôles de revues, qui sont sur ces objets où l’on se dit « est-ce que c’est encore une revue ? ». Je pense à Vinaigrette avec ce jeu de pliages, avec une photo, je pense aux interventions de RADICAL(E) ou aux jeux typographiques de nos amis norvégiens d’Alt Går Bra. Cette année, je pense qu’on les voit davantage parce qu’elles sont ensemble, elles étaient un peu plus dispersées dans le Salon avant. Après, c’est une vieille lune l’idée que l’image est un texte, en fin de compte les revues ont solutionné ça depuis très longtemps. On fait des choses, on propose des choses, exactement comme il y a des revues de bandes dessinées très belles, et puis des revues de bandes dessinées sans texte, comme À partir de, qui n’est pas là cette année, mais qui était présente sur les précédentes éditions. Il y a, effectivement, une forme d’intervention, mais je pense que c’est à la fois une nécessité par rapport au lectorat, et puis aussi des formes de pratiques, en particulier chez les jeunes équipes qui aiment ça, tout simplement, ou qui ont un sens du beau ou, en tout cas, de quelque chose de dynamique, mais les revues sont des objets particulièrement dynamiques. Il y a des revues qui changent tout le temps et qui se modifient, et puis dans le Salon ça change aussi : il y a un renouvellement entier à peu près tous les ans, et c’est vrai que cette année dans les allées il y a beaucoup de couleur. Par exemple, dans votre allée il y a Mondes Arabes, qui est une nouvelle revue par La Découverte. Ils ont un grand kakémono, c’est violet, c’est sobre, mais ce n’est plus la revue universitaire tristounette faite par un maquettiste un peu mauvais dans le fin fond d’une presse universitaire qui n’en à rien à cirer du résultat.

Merci beaucoup d’avoir pris le temps de nous répondre.

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