In Platonis Phaedrum Scholia: 234c9-c10

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Φαῖδρος
τί σοι φαίνεται, ὦ Σώκρατες, ὁ λόγος; οὐχ ὑπερφυῶς τά τε ἄλλα καὶ τοῖς ὀνόμασιν εἰρῆσθαι;

Phèdre
Que te semble de ce discours, Socrate? N'est-il pas merveilleusement composé, spécialement en ce qui concerne les mots?

Platon, Phèdre, 234c9-234c10

Phèdre a fini de lire. Il reprend la parole. La première chose qu’il fait c’est de chercher l’approbation et l’admiration de Socrate. Phèdre a envie que Socrate aime ce que lui il aime, il veut partager cet enchantement pour le discours, pour les arguments de Lysias. Il sait que Socrate adore les discours et espère l’avoir enchanté.

Il faut essayer de bien le comprendre, Phèdre. Il est jeune, il est sous le charme de Lysias, mais il est aussi sous le charme de Socrate. La situation concrète qui lie les deux personnages est fondamentale pour comprendre leurs échanges. Il y a, en effet, une symétrie parfaite entre trois relations: celle de Phèdre avec Lysias, celle du destinataire du discours de Lysias avec le parlant et celle de Phèdre avec Socrate. Phèdre est l’ἐρόμενος et Lysias l’ἐραστής, mais Phèdre pourrait aussi être l’ἐρόμενος de Socrate. Phèdre doit concrètement choisir un amoureux: Lysias ou Socrate? Il hésite en réalité, et le fait d’essayer de partager son admiration pour Lysias avec Socrate est de fait une stratégie de séduction.

L’avis de Socrate est donc fondamental, car il sera la réponse aux avances de Phèdre. Socrate pourrait se limiter à renvoyer Phèdre chez Lysias en déclinant ses avances; il pourrait réagir avec une forte jalousie et attaquer violemment Lysias; il pourrait essayer de faire mieux pour dépasser son rival en intelligence. Dans tout les cas, Phèdre est en train de passer la balle a Socrate pour le jeu de séduction.

La dimension métadiscursive est donc évidente: les arguments de Lysias parlent de la relation de Lysias avec Phèdre et la lecture du discours de la part de Phèdre est une autre mise en abîme de la relation qu’il a - ou qu’il souhaiterait avoir - avec Socrate.

Phèdre suggère à Socrate une raison pour admirer le discours: son style, les mots employés, le vocabulaire (τοῖς ὀνόμασιν). C’est à partir de cela que se construira l’opposition entre le discours de Lysias et le premier discours de Socrate, ou mieux, c’est en opposant cette forme d’esthétique vide de fond à un raisonnement dont le contenu est plus important que le style que Socrate essayera de gagner la préférence de Phèdre. Une opposition donc due justement au jeu de l’amour: Socrate doit bien se différencier de son adversaire s’il veut conquérir Phèdre et, si Lysias est bon avec les mots, lui il devra être bon avec quelque chose d’autre. L’opposition entre fond et forme est donc fictive, c’est une mise en scène nécessaire pour le jeu amoureux. On revient encore ici à la fausse guerre contre la matérialité que Socrate feint de combattre.

Parce qu’en réalité si un discours n’est pas bon pour ses mots, en quoi pourrait-il être bon? N’est-ce pas de mots qu’est fait discours? Que reste-t-il d’un discours si on enlève les mots?

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