Ce qui pourrait être autrement: impératif fonctionnel

rationalité, Sigmund Freud, Ignacio Matte Blanco, Francesco Orlando, choses qui fonctionnent

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Dans son livre Les objets désuets dans l’imagination littéraire, Francesco Orlando affirme que la littérature est un lieu où il est possible de transgresser l’impératif rationnel. La littérature peut affirmer l’absurde, montrer ce qui n’est pas montrable (les objets désuets, par exemple), dire l’indicible…

Or l’impératif rationnel est purement formel: c’est la demande de respecter les principes logiques et en premier lieu le principe qui fonde la logique: le principe de non contradiction. En suivant l’interprétation de Matte Blanco, pour Orlando, on peut lire Freud de façon purement formelle: l’inconscient est le lieu où on viole la logique formelle et on suit une autre logique, alternative, qui ne respecte pas le principe de non contradiction. Matte Blanco parle de logique symétrique.

Pour donner un exemple: dans la vie consciente nous savons que certaines propriétés ne sont pas symétriques. Par exemple, si j’affirme que A est le père de B, je ne peux pas en même temps dire que B est le père de A. La propriété “être père de” est asymétrique. Être père de, implique ne pas être fils de. Et donc affirmer que A est père de B et que B est père de A signifie dire que A est et n’est pas fils de B, ce qui constitue une violation du principe de non contradiction.

Or l’inconscient est régi par une logique symétrique. Dans un rêve A peut être à la fois le père de B et B le père de A. Une phrase comme “on était dans notre maison, mais ce n’était pas notre maison” peut bien décrire un rêve, mais elle viole le principe de non contradiction et donc l’impératif rationnel.

L’impératif rationnel se manifeste par contre sous plusieurs formes plus spécifiques. Typiquement, dans son livre sur les objets désuets, Orlando analyse ce qu’il appelle “l’impératif fonctionnel” qui serait une déclinaison typique du XIX siècle de l’impératif rationnel. Le siècle de la révolution industrielle remplit le monde d’objets fonctionnels. Le fait de fonctionner devient un impératif: la raison veut que cela fonctionne. Or Orlando constate que pendant ce même siècle la littérature se remplit, paradoxalement, d’objets non fonctionnels: de “ruines, reliques, raretés, rebuts, lieux inhabités et trésors cachés” comme le dit le soustitre de son ouvrage. Il en tire une conclusion: “plus d’objets non fonctionnels dans la littérature parce que plus d’objets fonctionnels dans la réalité”. La littérature s’affirme - en confirmant la grande thèse théorique - comme le lieu imaginaire d’un retour du réprimé.

À notre époque l’impératif fonctionnel est peut-être encore plus présent qu’au XIX siècle. Il est tellement présent qu’il s’est complètement naturalisé. Est-ce que la littérature réagit?

J’ai déjà dit que je crois que le non fonctionnement est la condition de la pensée critique et que je rêve d’outils qui ne fonctionnent pas. C’est ma façon de résister à l’impératif fonctionnel.

Une question qu’on pourrait se poser est si la place de la résistance est seulement celle de la formation de compromis, comme le veut Orlando. En d’autres termes: pour Orlando l’impératif rationnel est une nécessité. La réalité doit être régie par cet impératif. Orlando croit à une réalité rationnelle. De mon côté je pense qu’on devrait plutôt chercher des logiques plurielles dans le réel lui-même. Peut-être je reviendrai sur cette question.

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