L'ambiguïté de l'adjectif "populaire": une (courte) réponse à un tweet d'Alexandra Saemmer

François Bon, GAFAM, Alexandra Saemmer, démocratie, démocratisation, populaire, Platon

Je promets, aujourd’hui je ferai court. Suite à mon billet d’hier, l’amie Alexandra Saemmer fait une liste de remarques sur Twitter.

Dans une, elle dit: “Troisième remarque : fait de la littérature numérique sur une plateforme populaire (et pas sélective comme Mastodon) est un acte politique.”

Quand je dis, ici à Montréal, que je vis dans un quartier populaire, je ne sais jamais ce que mes interlocuteurs vont comprendre. J’ai l’impression (j’aimerais avoir l’avis de Benoît Melançon) que le premier réflex est de penser que je vis dans un quartier “branché”: populaire parce que tout le monde veut y habiter. En réalité, ce que je veux dire est que je vis dans un quartier du peuple - et donc pauvre.

L’ambiguïté de l’adjectif employé par Alexandra me semble bien indiquer la contradiction dans laquelle nous vivons aujourd’hui: les plateformes les plus utiliséesa (les plus vues, je citais hier Dominique Cardon) sont-elles aussi du peuple? D’une part - comme le souligne Alexandra dans un autre tweet -, ces plateformes ont permis des mouvements politiques, elles ont donné du pouvoir au peuple. Mais de l’autre ce pouvoir est toujours menacé par le risque de populisme. Le populisme consiste justement à faire croire au peuple qu’il est souverain quand en réalité il se fait exploiter.

Le populisme est ce à quoi on assiste dans la totalité de nos démocraties, où des Meloni, Le Pen, Trump, Legault… profitent de l’ignorance du peuple pour le manipuler et pour renforcer leur pouvoir.

C’était la crainte de Platon dans la République: la démocratie est le pire des gouvernements car elle se transforme immédiatement en démagogie.

Il me semble que le même risque se trouve dans les plateformes “populaires”: le peuple est le moyen et pas la fin.

Platon insistait sur l’importance de l’éducation: une plateforme populaire ne peut l’être que si le peuple qui l’utilise a une littératie suffisante pour en comprendre le fonctionnement mais aussi pour en être le maître. Et cela est loin d’être le cas. Même si des fois ces plateformes produisent des formes de liberté et des possibilités de révolte et d’émancipation, ces possibilités resteront toujours démagogiques car les maîtres en restent les plateformes. Que peut avoir de “populaire” une entreprise multimillionnaire? Que sait du peuple Elon Musk?

C’est par ailleurs la raison qui me fait indisposer à chaque fois que je lis le mot “démocratisation” à la place de diffusion. Par exemple: “la démocratisation des technologies numériques”. Elles ne se sont pas démocratisées, elles sont juste très diffusées. La démocratisation impliquerait une prise de conscience critique et une maîtrise qui n’est pas du tout celle du client qui achète un produit, mais celle du citoyen qui est un acteur de ses décisions et de ses actions politiques.

Mais bien sûr, Alexandra, tu as raison: on ne peut pas nier qu’il y a aussi des formes d’émancipation. Je ne suis juste pas sûr qu’elles soient viables à moyen terme. Et pourtant je reste sur Twitter…

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