Daesh, les décapitations et la position de l’Islam vis-à-vis des statues et des vestiges
Adnan Ibrahim, penseur, théologien et directeur de l’association Rencontre des civilisations à Vienne.
Traduit de l’arabe par Abdelrahim ABDELRAHIM
Il y a un an, le savant et médecin italien Sergio Canavero a annoncé que le jour où l’on implanterait une tête humaine sur l’homme est devenu très proche et que tous les obstacles auraient été surmontés. En Chine, une tentative d’implantation d’une tête sur une souris a réussi. Des nouvelles impressionnantes, non ? Quant à la première opération d’implantation de tête humaine, elle est prévue pour 2017, c’est-à-dire dans moins de deux ans ! Des gens sont en train d’implanter des têtes et nous (certains musulmans) sommes en train de les couper. Où allons-nous ? Et où vont-ils ? Qui seront les gagnants ? Ceux qui implantent des têtes, ou ceux qui les coupent ? En tout cas, je crois que les gens qui ont le plus besoin de réserver des places pour faire cette opération sont aujourd’hui certains musulmans, afin de se débarrasser de leurs têtes, leurs obsessions, leurs idées, leur littéralisme, leur immobilisme, leur folie, etc. Mais ils ne vont pas le faire, parce qu’ils ne peuvent pas penser en dehors de leurs têtes.
Que faire?
De toute façon la solution n’est ni de couper les têtes, ni de les implanter, la solution est un programme réformiste, rénovateur et éducatif. Les autorités, les associations, les collectivités, etc, qu’elles soient étatiques ou civiles, doivent prendre ce programme au sérieux. Il s’agit de développer une façon de voir le monde (une conception du monde) et ensuite un discours basé sur cette conception. Mais cette façon de voir le monde doit s’appuyer sur de nouveaux mécanismes de compréhension afin d’avoir un nouveau regard sur les livres de Oussoul al-Fiqh (une discipline religieuse selon laquelle les lois doivent s’appuyer sur des textes religieux). Pour les spécialistes qui se sont vraiment investis dans cette discipline, ces mécanismes sont très respectables. Je veux dire par spécialistes, les gens qui ont beaucoup lu et non pas ceux qui ont lu deux ou trois livres de 200-300 pages. Mais malgré tout le respect dû à cette discipline, elle reste un produit humain, et elle n’est pas la parole de Dieu.
Nous avons oublié les axiomes et les principes fondamentaux de notre religion
Les musulmans doivent prendre en considération les axiomes car à la façon dont ils se comportent, on peut penser qu’ils ne les ont pas compris. L’un des axiomes est que tout vieillit dans ce monde : la production humaine, la pensée de nos érudits, malgré le fait qu’ils soient respectables, crédibles, intelligents, raisonnables, clairvoyants, sages et hautement qualifiés. Avec le temps, tout vieillit. La pensée humaine ne peut absolument pas atteindre le niveau du texte divin, sinon, cela implique l’égalité entre l’homme et Dieu. Autrement dit, on suppose que l’érudit a le même degré de connaissance et la même aptitude de jugement que Dieu, même s’il s’agit de l’un des compagnons du prophète ou de l’un des Tabeïne (les gens qui sont nés directement après les compagnons du prophète), nous ne pouvons pas mettre leur pensée sur un pied d’égalité avec la parole de Dieu. Cela est très dangereux. En réalité, ce suivi littéral et cette sacralisation envers les ancêtres ou les prédécesseurs ou les Tabeïne, le fait de croire qu’ils ont apporté la bonne et la seule explication définitive des textes religieux, c’est du Shirk (polythéisme), encore une fois, on met sur un pied d’égalité celui qui a été à l’origine du texte (Dieu) et celui qui explique le texte. Or, ces personnes n’ont fait que commenter ou interpréter le texte, elles sont comme vous et moi, ce sont des humains. La pensée rationnelle nous guide vers cette conclusion, mais malheureusement, certains musulmans ne sont plus capables de vivre avec les conséquences de cette pensée rationnelle. On peut penser d’une certaine façon, que lorsque l’on fait un acte quelconque ou même que l’on commet un délit, le plus dangereux, ce n’est pas la pensée ou l’acte lui-même, mais c’est jusqu’à quel point et jusqu’à quand on peut vivre avec les conséquences de cette pensée ou de cet acte. On peut un jour voler. La question que l’on doit se poser, c’est jusqu’à quand peut-on vivre avec ce que l’on a fait sur la conscience ? Jusqu’à quand peut-on nourrir ses enfants avec de l’argent volé ? Est-ce que vous acceptez d’offrir à votre femme un cadeau avec cet argent ? Comment vous vous sentirez lorsque vous la verrez réjouissante et reconnaissante pour le geste que vous venez de faire ? La question n’est pas purement intellectuelle, mais éducative. En effet, il faut éduquer la conscience. S’il y a une chose qui ne doit pas être flexible, c’est la conscience, au contraire du cerveau qui lui, doit l’être au maximum. Si la conscience est flexible, cela veut dire qu’elle est abîmée parce qu’elle accepte une chose et son contraire. Cette conscience ne croit pas aux principes car elle a deux poids et deux mesures, elle change de position selon ce qui l’arrange, cela est très dangereux. Certains ont une conscience flexible, et un cerveau dur, immobile et littéraliste. Cela n’est pas digne de l’être humain.
Daesh et la volonté d’écrire un nouveau passé!
Récemment, Daesh (l’État islamique en Irak et au Levant) a détruit des objets, des statues et des vestiges assyriens qui se trouvaient dans la ville irakienne de Mossoul. Des événements tragiques et irréels, que nous n’arrivons pas à comprendre, une absurdité totale, un combat contre la civilisation et l’histoire. Ce que je vais vous dire n’est pas une leçon dont le but est d’attirer l’attention sur l’importance de l’histoire et le fait que nous devons la respecter et l’honorer, mais plutôt une leçon qui porte sur le renouvellement. Nous en avons marre de bricoler, tout ce que je fais est du bricolage, je suis obligé de le faire parce que les autres ne font que déchirer et détruire. Malheureusement, il n’y a ni vraie pensée ni vrai projet visionnaire chez ces gens, il ne peut pas y avoir de débat avec eux, tout ce qu’il y a, c’est de la destruction et du vandalisme. Le pire, c’est que ces actes sont commis au nom du ciel, du messager du ciel, de celui du Coran et de celui des enseignements du prophète. Et moi, en tant que musulman qui aime son Dieu, son Coran, son prophète, ses enseignements, il ne me reste qu’à bricoler. Il y a deux types de personnes qui n’aiment pas ce que les réformistes essaient de faire, les premiers sont ceux qui commettent ces actes et les seconds sont ceux qui veulent instrumentaliser ces événements pour en finir avec l’Islam et le transformer en de l’histoire. Ils nous accusent d’être des « maquilleurs », des menteurs, de détourner le sens des textes, de falsifier l’interprétation de ceux-ci. Nous leur répondons que nous ne mentons pas, nous estimons juste avoir le droit de comprendre, nous n’adorons que Dieu et nous n’avons qu’un seul prophète, nous n’adorons ni les gens qui expliquent leurs paroles ni ceux qui nous les transmettent, nous n’adorons ni al-Boukhari ni Mouslim ni Ibn Taymiyya ni Ibn Abdelwahhab, ni Hassan al-Banna ni Sayyed Qotb ni al-Shafiï ni Abu Hannifa ni Jaffar al-Sadiq ni Zaynab, nous n’adorons personne à part Dieu, et nous insistons sur notre droit de penser, de dire notre mot et, le plus important, d’utiliser nos cerveaux. Pour ceux qui disent que les prédécesseurs comprenaient mieux, cela veut dire aussi que les prédécesseurs des musulmans « al-Jahiliya » comprenaient mieux que les musulmans. L’idée qui dit que les anciens étaient meilleurs dans la compréhension des textes est bête. J’avais pris pour exemple les avancées dans les connaissances durant le dernier siècle : chaque jour, notre savoir s’accroît et dire que les connaissances d’il y a un siècle étaient meilleures que les connaissances actuelles est un mensonge. Le clergé musulman d’aujourd’hui veut à tout prix vous persuader que vous êtes bêtes et que vous n’êtes pas capables de comprendre, cela l’aide à vous maintenir dans l’ignorance. Ce clergé est incapable, il ne fait que transmettre et répéter tel un appareil ou une radio. Ses membres n’ont rien de nouveau à dire, rien à offrir et ils veulent que vous soyez une photocopie qui leur ressemble aveuglément afin qu’ils restent vos seigneurs et vos enseignants.
La question de la représentation d’hommes ou d’animaux sous forme de statues ou de dessins dans l’Islam
Après cette introduction, traitons maintenant la question des statues sculptées dans l’islam ; je vous avais parlé d’un grand imam appelé Shihab al-Ddine al-Qarafi, malheureusement, cet homme n’est pas connu de nos jours, mais les spécialistes de la discipline d’Usul al-Fiqh (ressources de la loi islamique) le connaissent bien. Cet érudit est l’auteur d’explications incontournables sur Usul al-fiqh, il a aussi été l’un des élèves de l’imam Izz Ibn Abdelssalam (référence respectée de la jurisprudence islamique). Al-Qarafi raconte dans son livre qu’il a été informé de la présence d’un chandelier mécanique chez le roi ayyoubide al-Kamel, ce chandelier a été fait par un ingénieur de la cour royale, il le décrit en disant « toutes les heures, une marionnette ayant la forme d’un homme, surgit du chandelier avec une couleur différente. Toutes les dix heures, une autre marionnette surgit et dit au roi : que la journée du roi soit remplit de joie et de bonheur ». Vous diriez peut-être que ce genre d’histoire est un mythe des Mille et Une Nuits, mais je peux vous assurer que non, parce que ce genre d’appareils existe dans des livres avec des plans et des images expliquant leur fonctionnement basé sur la mécanique, l’hydraulique et l’équilibre des gazs (consulter كتاب الحيل The Book of Ingenious Devices ou The Book of Tricks sur wikipedia : « publié en 850 par trois frères perses connus sous le nom de Banu Moussa, ils travaillaient dans la Maison de la sagesse à l’époque abbaside. Leurs travaux étaient basés sur des connaissances grecques, perses, indiennes et chinoises, surtout celles d’Héron d’Alexandrie, un ingénieur, mathématicien et mécanicien grec »).
Al-Qarafi dit aussi qu’il a lui-même fabriqué un chandelier ayant la forme d’un lion. Les partisans de Daesh diront que cette statue et celui qui l’a fabriquée iront en enfer, ils se supposent plus pieux et plus connaisseurs que quelqu’un comme Al-Qarafi ! Les yeux de ce lion changent de couleur, du noir au blanc et finalement au rouge. Deux oiseaux laissent tomber des petits cailloux à des moments précis, faisant ainsi sortir une petite marionnette qui prend la forme d’un homme, derrière une petite porte. Au début de la matinée, un homme sort, met sa main à côté de ses oreilles et tourne sa tête de droite et de gauche comme s’il faisait l’appel à la prière. Il dit aussi que dans le même chandelier, il a posé des petites statues animalières qui bougeaient d’un point à un autre en sifflant. Al-Qarafi reconnaît pourtant qu’il n’a pas réussi à faire parler cette marionnette comme dans le cas du chandelier du roi ayyoubide. Cette œuvre peut être considérée comme une statue, mais personne ne l’a vénérée, ni Al-Qarafi, ni les rois ni la masse.
Aujourd’hui, des statues datant de plus de 3000 ans sont en train d’être détruites sous prétexte qu’elles ont été vénérées ou peuvent l’être dans le futur. Ces vestiges témoignent de la civilisation humaine, de l’habileté de l’homme, de l’évolution de sa mentalité et de son art, les civilisations qui ont précédé n’y ont pas touché, même les gouvernements. Maintenant, des gens arrivent après toutes ces années pour nous dire ou nous rappeler que ces vestiges sont des statues ou des idoles qui étaient vénérées aux dépens de Dieu, et qu’il faut les détruire. Rappelez-vous que d’autres gens sont en train d’implanter des têtes, et que nous, nous sommes en train de les couper. Nous ne faisons que couper notre relation avec la civilisation et l’histoire. Daesh et ses partisans sont furieux et très inquiets du fait que nous ayons une grande et longue histoire en tant qu’orientaux et non pas en tant que musulmans, ils veulent nous faire comprendre que notre civilisation est seulement la civilisation musulmane, alors que la Mésopotamie (l’Irak actuel) a connu trois civilisations avant l’Islam, et c’est pour parler de ce que nous savons, peut-être y en a-t-il eu plus.
A Mossoul, on recense plus de 1300 points historiques appartenant à des civilisations très anciennes qui remontent à des milliers d’années, aujourd’hui, des gens dont la pensée n’a guère plus de 70 ans veulent imposer leur vision.
Source : Discours de la prière du vendredi 13 mars 2015.
Contrôle linguistique: Julie Bonnet.
Merci pour cet article