A propos de la guerre, de l’identité, des réfugiés et des frontières
Written By: Abdelrahim ABDELRAHIM
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Jan•
21•16
Conférence: « Frontières (in)visibles », dans le cadre du festival Mode d’emploi-Villa Gillet
26/11/2015, 20:00 – 21:30. MJC Jean Macé. 38 rue Camille Roy, Lyon 69007.
Intervenant: M. Abdelrahim ABDELRAHIM (chercheur à Sens Public).
La participation de Sens public a été de fournir l’aspect théorique dans le débat en répondant à l’ensemble des questions qui ont été posées par les organisateurs :
– Les frontières géographiques, politiques et culturelles ne cessent-elles pas d’alimenter les guerres ?
A mon avis, c’est l’idéologie qui est à l’origine des guerres dans le monde. Les questions géographiques et politiques sont tout simplement liées aux idées que nous avons sur notre géographie et notre politique. Les intérêts économiques peuvent aussi jouer un rôle très important dans le déclenchement des guerres entre les peuples. Il y a des gens qui préfèrent placer les intérêts économiques avant l’idéologie pour parler des causes réelles des guerres : dans certains cas, c’est vrai, mais dans d’autres non. Par exemple, ce qu’a fait le régime nazi était purement idéologique, la guerre épuisait ses intérêts économiques, et pourtant, il a continué sa guerre en quête de son idéal. Les États – Unis dans leur guerre contre l’Irak, je crois que tout le monde est d’accord sur le fait que c’était purement économique. L’Irak n’avait rien à voir avec les gens qui ont attaqué les tours jumelles, Ben Laden était saoudien et non pas irakien. La guerre civile en Syrie aujourd’hui, cela relève en grande partie de l’idéologie, c’est-à-dire de la fracture entre sunnites et chiites, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle la révolution syrienne n’a pas réussi à faire tomber le régime, contrairement à ce qui s’est passé en Égypte et en Tunisie.
Parfois les deux facteurs (idéologie et intérêts économiques) sont en même temps présents. Et la plupart du temps un facteur conduit à l’autre, c’est-à-dire que quand vous avez des intérêts économiques dans quelque chose, vous allez créer une sorte d’idéologie pour les préserver, et quand vous avez une idéologie, vous avez besoin de fonds financiers pour la faire vivre. C’est comme le paradoxe de l’œuf et de la poule, on ne saura jamais qui était là avant l’autre.
En conclusion sur cette partie, je crois que pour empêcher que de plus de guerres ne se produisent dans le futur, il faut arriver à contrôler deux choses : notre « gourmandise » et nos idées. Tant que nous n’essayerons pas d’imposer notre idéologie sur les autres, et tant que nous freinerons notre « convoitise », il n’y aura pas de guerre.
– Un monde sans frontière, une utopie ?
À mon avis, oui. C’est une utopie à laquelle beaucoup de gens aspirent, surtout dans les idéologies universalistes. Les grands philosophes ou les libres penseurs ne reconnaissent pas les frontières : nous l’avons vu chez les Grecs, chez les Musulmans et en Europe par le mouvement qu’on a appelé les Lumières. Aujourd’hui on le voit dans le capitalisme et le mouvement de la mondialisation. Dans l’idéologie communiste aussi, on ne reconnait pas les frontières. Autrement dit, tout le monde veut la mondialisation mais personne ne veut les inconvénients qui viennent avec.
Pour moi, un pays c’est comme une maison: il faut qu’il y ait des murs pour protéger cette maison, pareil pour un pays, il faut qu’il y ait des frontières pour le protéger. Cela ne veut en aucun cas dire que je suis pour la construction des murs pour empêcher les réfugiés d’arriver en Europe, au contraire je crois que l’Europe doit accueillir les réfugiés. C’était tout simplement ma réponse à la question des frontières en général. La question des réfugiés, c’est autre chose.
En conclusion à cette question : à mon avis ni l’individu, ni la famille, ni un pays ne peuvent vivre sans frontière.
– La disparition des frontières, engendrerait-elle la fin de notre identité ?
Pas du tout, l’identité des peuples est constituée par leurs histoires et non pas par les frontières géographiques dans lesquelles ils vivent ; tant que l’histoire d’un peuple est préservée, son identité le sera aussi. Pour changer l’identité d’un peuple, il faut lui faire oublier son histoire, et à ma connaissance, aucune puissance dans l’Histoire n’a réussi à le faire. On a eu beau essayer de détruire les livres, les bibliothèques et les monuments qui témoignent de la présence d’une identité antérieure pour essayer de façonner une nouvelle identité, à chaque fois ces tentatives ont été un échec, parce que l’Histoire a toujours réussi à être transmise par d’autres vecteurs. Et dans le pire des cas, l’histoire et l’identité peuvent être transmises par les ennemis eux-mêmes, qui le font de manière inconsciente quand ils essaient de les diaboliser ou d’y répondre.
Je ne dis pas que notre identité ne peut pas être influencée. Elle peut évoluer, mais jamais elle ne disparaîtra.
Vu mon expérience en tant que réfugié palestinien, mon identité a été préservée grâce à ma famille. Tant qu’on n’oublie pas notre histoire et qu’on en parle, notre identité sera toujours présente. Il y a des palestiniens qui vivent en Syrie, au Liban, en Irak, aux États-Unis, au Chili, en France, en Suède… Quand je les rencontre, je m’aperçois que notre identité est la même, ce qui a changé ce sont juste de nouvelles habitudes de vie qui se sont rajoutées sur cette identité.
En ce qui concerne l’identité française et les voix qui s’élèvent pour dire qu’elle est menacée par les vagues migratoires musulmanes, je trouve cela extrêmement exagéré. La France compte 65 millions d’habitants, dont seulement 5 à 6 millions sont musulmans, elle est l’un des pays qui documente le plus (je veux dire par là, sa constitution, sa loi et son identité sont écrites), elle est la 6ème puissance mondiale. Dire que la présence de quelques millions d’habitants musulmans qui sont la plupart du temps marginalisés et pauvres constitue une menace pour la France relève vraiment d’une peur basée sur des abus de quelques « racailles » dans cette communauté. Et réduire tous les musulmans en France aux pratiques de ces « racailles » est extrêmement injuste.
Donc non, la disparition des frontières n’engendra jamais la fin de notre identité.
– Dans un monde de plus en plus globalisé, où l’information, les biens et les capitaux circulent librement et à une vitesse extraordinaire, quelle est l’origine de ce désir de l’homme de se séparer des autres ? Les barrières, les murs, sont-ils uniquement une réponse politique à la crise migratoire, ou bien on peut les considérer comme la manifestation d’une relative volonté collective ?
Prenons la première question :
Quelle est l’origine de ce désir de l’homme de se séparer des autres ?
A mon avis, l’homme tend par nature à aller vers l’autre, à communiquer et à rire avec lui. L’envie ou le désir de se séparer des autres ne surgit que quand il y a des problèmes. Il faut travailler pour éliminer ces problèmes ou même les empêcher de se produire. Ce que j’ai dit sur les deux facteurs de déclenchement des guerres est valable pour répondre à cette question, il faut qu’on arrive à contrôler nos idées et notre « gourmandise ».
Les barrières, les murs, sont-ils uniquement une réponse politique à la crise migratoire, ou bien peut-on les considérer comme la manifestation d’une relative volonté collective ?
Avec la crise, la montée du terrorisme, les images qu’on voit à la télévision, les enfants qui meurent sous les raids aériens ou les gens qui sont brûlés vifs ou décapités, tout cela joue un rôle important dans l’opinion publique. Il n’y a pas une manière plus efficace que la rage pour faire réagir les gens et les rassembler. Cette rage, moi personnellement je la comprends, la montée de l’extrême – droite en Europe, je la comprends aussi.
Je ne suis pas ici pour dire que la droite est mauvaise et que la gauche est bonne. Je crois que dans la situation actuelle, nous avons besoin d’être au milieu et de faire des compromis, nous avons besoin de la discipline qui caractérise la droite et de l’humanisme qui caractérise la gauche.
Donc oui, je crois que les barrières et les murs sont la manifestation d’une relative volonté collective et pas seulement une réponse faite par la classe politique.
Je crois que la droite doit comprendre que ces gens qui sont en besoin d’aide doivent être accueillis. Inversement les réfugiés qui arrivent doivent comprendre qu’ils doivent respecter les traditions des pays qui les accueillent et qu’ils ont la responsabilité de rassurer l’opinion publique dans ces pays. D’ailleurs, quand je discute avec mes amis sur la chose qui peut fournir le plus de bonheur à soi-même, on arrive toujours à une réponse extraordinaire : on finit toujours par dire que la chose qui fournit le plus de bonheur, le plus de sérénité et de satisfaction est le fait d’aider quelqu’un qui a besoin d’aide.
Les réfugiés qui fuient la guerre et la misère dans leur pays ne veulent pas autre chose que vivre en paix. On ne peut pas fermer notre porte face à quelqu’un qui nous demande de l’aide. C’est immoral et inacceptable.
Conclusion :
Si les pays arabes ont accueilli les réfugiés syriens parce qu’ils sont frères dans la langue et dans l’histoire, l’Europe se doit de les accueillir parce qu’ils sont frères dans l’humanité.
N’oublions pas que l’Europe a signé des conventions internationales concernant les droits des réfugiés, contrairement à d’autres pays… (sans citer lesquels)
L’Europe a certes la possibilité de choisir, personne ne peut l’obliger à accueillir. Mais si on n’accueille pas ces réfugiés, est-ce qu’on acceptera que l’Histoire retienne le fait que le continent qui incarnait l’humanisme et les droits de l’homme a refusé de tendre la main à des gens qui fuyaient la guerre et la misère ?
La France est un grand pays et il doit se comporter comme tel. Il ne faut pas oublier qu’elle porte aussi une vision et un modèle universaliste du monde et les représente au niveau mondial. Pour qu’elle reste philosophiquement cohérente avec elle-même, il faut qu’elle accueille ces réfugiés.
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