Ce qui pourrait être autrement: faire la révolution

anarchie, révolution, Hans Magnus Enzensberger, 1936, Espagne

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Que serait une vraie révolution?

Tout d’abord, par rapport à la révolution numérique: la révolution est une révolution si on la fait, pas si on la subit. La sortie du dernier Apple Watch ne peut donc pas constituer une révolution.

Mais qui est ce “on”? L’ensemble pour qui la révolution est une révolution. Fait de collectifs, d’idées, d’échanges, de relations. La révolution n’est telle que lors qu’elle implique tout le monde de façon active, lorsqu’elle est globale. Il ne peut pas y avoir de révolution tant qu’il y a des “usager.e.s” qui se limitent à utiliser quelque chose qui est conçu ailleurs.

La révolution se base donc sur l’éducation: une éducation qui rende actif, protagoniste - je n’aime pas le terme “empowerement” parce qu’il me semble cacher une nuance paternaliste, mais je me trompe peut-être.

En 1936, le “bref été de l’anarchie” fut possible en Espagne parce que depuis plusieurs générations les paysans étaient éduqués à l’anarchisme. L’anarchisme avait été leur émancipation, leur prise de conscience, leur alphabétisation. C’est sous les balles des communistes que ce court rêve s’est éteint, en laissant la place au franquisme. Mais pendant quelques mois, une société vraiment révolutionnaire s’était mise en place. Une révolution longue et lente, qui s’était faite dans les décennies, grâce à l’éducation.

Laissons-le raconter par Hans Magnus Enzensberger:

Ici, dans les villages d’Andalousie, l’anarchie espagnole a posé la première de ses deux racines. Presque d’un seul coup, elle fut capable de donner au mouvement spontané du prolétariat agricole une base idéologique et une structure organisationnelle solide et dans les villages elle a nourri l’attente naïve mais inébranlable d’une révolution proche et totale. Au tournant du siècle on pouvait rencontrer partout dans le sud de l’Espagne les “apôtres de l’idée” qui traversaient la campagne à pied à dos d’âne ou en chariot couvert sans un sou dans leurs poches. Les ouvriers les accueillaient et leur donnaient à manger. (Dès le début, et cela est encore vrai aujourd’hui, le mouvement anarchiste espagnol n’a jamais été soutenu ou financé de l’extérieur). De cette manière un processus d’éducation de masse se mit en branle. Désormais on rencontrait partout des paysans et des ouvriers capables de lire et écrire et, parmi les analphabètes, nombreux étaient ceux qui mémorisaient des articles entiers de journaux ou des brochures du mouvement. Dans chaque village il y avait au moins un “éclairé”, un “ouvrier conscient”, reconnaissable au fait qu’il ne fumait pas, ne jouait pas, ne buvait pas, professait l’athéisme, n’était pas marié à sa femme à qui il était fidèle, ne baptisait pas ses enfants, lisait beaucoup et essayait de transmettre tout ce qu’il savait aux autres.

Hans Magnus Enzensberger, Le bref été de l’anarchie (ma traduction depuis la traduction italienne)

C’est ainsi que se font les révolutions.

anarchie, révolution, Hans Magnus Enzensberger, 1936, Espagne cequipourrait