In Platonis Phaedrum Scholia: 277e5-278b4
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Σωκράτης
ὁ δέ γε ἐν μὲν τῷ γεγραμμένῳ λόγῳ περὶ ἑκάστου παιδιάν τε ἡγούμενος πολλὴν ἀναγκαῖον εἶναι, καὶ οὐδένα πώποτε λόγον ἐν μέτρῳ οὐδ᾽ ἄνευ μέτρου μεγάλης ἄξιον σπουδῆς γραφῆναι, οὐδὲ λεχθῆναι ὡς οἱ ῥαψῳδούμενοι ἄνευ ἀνακρίσεως καὶ διδαχῆς πειθοῦς ἕνεκα ἐλέχθησαν, ἀλλὰ τῷ ὄντι αὐτῶν τοὺς βελτίστους εἰδότων ὑπόμνησιν γεγονέναι, ἐν δὲ τοῖς διδασκομένοις καὶ μαθήσεως χάριν λεγομένοις καὶ τῷ ὄντι γραφομένοις ἐν ψυχῇ περὶ δικαίων τε καὶ καλῶν καὶ ἀγαθῶν ἐν μόνοις ἡγούμενος τό τε ἐναργὲς εἶναι καὶ τέλεον καὶ ἄξιον σπουδῆς: δεῖν δὲ τοὺς τοιούτους λόγους αὑτοῦ λέγεσθαι οἷον ὑεῖς γνησίους εἶναι, πρῶτον μὲν τὸν ἐν αὑτῷ, ἐὰν εὑρεθεὶς ἐνῇ, ἔπειτα εἴ τινες τούτου ἔκγονοί τε καὶ ἀδελφοὶ ἅμα ἐν ἄλλαισιν ἄλλων ψυχαῖς κατ᾽ ἀξίαν ἐνέφυσαν: τοὺς δὲ ἄλλους χαίρειν ἐῶν—οὗτος δὲ ὁ τοιοῦτος ἀνὴρ κινδυνεύει, ὦ Φαῖδρε, εἶναι οἷον ἐγώ τε καὶ σὺ εὐξαίμεθ᾽ ἂν σέ τε καὶ ἐμὲ γενέσθαι.
Socrate
Celui qui, au contraire, considère qu'il est nécessaire que dans tout discours écrit il y ait une bonne dose de jeu et qu'aucun discours n'a été écrit, ni en mètre ni en prose, - ni récité comme récitent les rapsodes sans analyse et sans volonté d'enseignement, mais juste pour la persuasion - qui soit digne d'être pris au sérieux, celui pour qui les meilleurs discours de ce type sont ceux qui produisent le souvenir dans ceux qui savent déjà, celui qui pense que sont clairs et parfaits et dignes de sérieux seulement les discours qui servent à enseigner et à apprendre et qui sont écrits dans l'âme et qui parlent de la beauté et de la bonté, et que tels discours doivent être considérés par son auteur comme ses enfants légitimes, en premier lieu l'original, si on le trouve, et ensuite ses enfants ou frères qui sont nés ensemble dans d'autres âmes d'autres hommes selon leur valeur, celui qui envoie beaucoup de salutations aux autres discours - c'est ce type d'homme, Phèdre, qu'il est probable que toi et moi voulions devenir.
Platon, Phèdre, 277e5-278b4
Une autre phrase très écrite qui propose un résumé clair, riche et très élégant des conclusions auxquelles l’analyse de l’écriture a mené.
L’écriture est, nous l’avons répété à plusieurs reprises, une παιδιά, un jeu, une occupation belle et ludique. Il ne faut par contre pas lui attribuer trop d’importance ou, mieux, il faut toujours lui donner une importance secondaire par rapport à une autre activité: celle qui consiste à écrire dans l’âme.
Il faut souligner la fin de cette phrase: la préoccupation de Socrate est de savoir quel type d’homme il veut être. On sent très clairement Platon derrière cette phrase: quel type d’homme veut devenir Platon, l’élève de Socrate? Comment Platon - l’auteur du Phèdre - veut-il être considéré? Encore une fois: Platon est d’abord et avant tout un scholarque, un σχολάρχης, celui qui a fondé l’Académie - nous ne reviendrons pas sur le rapport entre école et oisiveté (σχολή). L’enseignement est l’écriture dans l’âme. C’est l’école le véritable enfant légitime (γνήσιος) de Platon, voici ce que Platon veut nous dire dans cette phrase. L’enfant légitime est l’enseignement. Ensuite, cet enfant a d’autres enfants, des frères et des sœurs et c’est toute cette descendance qui a fait en sorte qu’aujourd’hui, en 2022, nous soyons encore en train de commenter ces textes. Ces textes ne seront que le moyen pour nous rappeler à la mémoire ce que nous savons déjà parce que cela nous a été transmis autrement, encore une fois par l’enseignement qui fait de notre culture occidentale une culture fondamentalement grecque et platonicienne.
Et Platon, sans trop de modestie, se met au dessus d’Homère: car les discours de celui-ci - qui restent pourtant gravé dans les âmes de tous les rapsodes - ne servent qu’à créer des illusions mimétiques tandis que les discours de Platon, les discours philosophiques, parlent des choses les plus élevées.