In Platonis Phaedrum Scholia: 268d6-e7

ἀγροίκως, ἁρμονία, πρᾶος, ἀνάγκη, μάθημα

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Σωκράτης
ἀλλ᾽ οὐκ ἂν ἀγροίκως γε οἶμαι λοιδορήσειαν, ἀλλ᾽ ὥσπερ ἂν μουσικὸς ἐντυχὼν ἀνδρὶ οἰομένῳ ἁρμονικῷ εἶναι, ὅτι δὴ τυγχάνει ἐπιστάμενος ὡς οἷόν τε ὀξυτάτην καὶ βαρυτάτην χορδὴν ποιεῖν, οὐκ ἀγρίως εἴποι ἄν: ‘ὦ μοχθηρέ, μελαγχολᾷς,’ ἀλλ᾽ ἅτε μουσικὸς ὢν πρᾳότερον ὅτι ‘ὦ ἄριστε, ἀνάγκη μὲν καὶ ταῦτ᾽ ἐπίστασθαι τὸν μέλλοντα ἁρμονικὸν ἔσεσθαι, οὐδὲν μὴν κωλύει μηδὲ σμικρὸν ἁρμονίας ἐπαΐειν τὸν τὴν σὴν ἕξιν ἔχοντα: τὰ γὰρ πρὸ ἁρμονίας ἀναγκαῖα μαθήματα ἐπίστασαι ἀλλ᾽ οὐ τὰ ἁρμονικά.’
Φαῖδρος
ὀρθότατά γε.

Socrate
Mais ils ne l'insulteraient pas grossièrement, je pense, mais comme un musicien à un homme croyant connaître l'harmonie car par quelques hasards il sait comment faire sonner une corde avec un son aigu ou grave, ne dirait pas grossièrement "Crétin, tu déconnes", mais doucement, comme se doit à un musicien: "Cher ami, un aspirant musicien doit connaître nécessairement aussi ces choses, mais quelqu'un qui a cette connaissance que tu évoques peut aussi n'avoir la moindre idée de ce qu'est l'harmonie: tu as en effet des connaissances nécessaires pour l'harmonie, mais tu ne connais pas l'art de l'harmonie elle-même."
Phèdre
C'est très juste.

Platon, Phèdre, 268d6-268e7

Socrate rajoute un troisième exemple: après la médecine et l’écriture de tragédies, c’est le tour de la musique et de l’art de l’harmonie. Chacun de ces exemples a sa raison d’être. Nous avons vu que la médecine semble un excellent exemple à analyser en premier pour deux raisons: en premier lieu il s’agit d’un art qui est assez loin de la rhétorique pour permettre un jugement objectif, en second lieu la médecine est l’art par excellence, dont les effets bénéfiques - ou maléfiques - sont évidents pour tout le monde. L’écriture de tragédies est un exemple qui permet de se rapprocher de la rhétorique et aussi de montrer la différence entre techniques et arts: connaître des figures rhétoriques est sans doute utile pour l’art oratoire (s’il existe) et pour l’écriture de tragédies, mais cela ne peut pas être l’art en soi, autrement il n’y aurait pas de différences entre Sophocle et Lysias.

Le troisième exemple semble avoir été choisi pour analyser la question de l’enseignement. La musique semble un art où la question de la transmission est fondamentale et surtout très facile à analyser: comment apprend-on à faire de la musique? Il faut un maître expert et très patient. On imagine immédiatement les leçons de musique, avec des élèves qui ont du mal à s’approprier ce nouveau langage et le maître qui prend son temps, qui les exhorte sans les agacer.

Socrate met en avant la musique pour cet aspect: le maître de musique n’insulte pas son élève, il ne l’agresse pas de façon grossière. Une petite parenthèse me semble importante. L’adverbe utilisé pour dire “grossièrement” est ἀγροίκως, adverbe qui fait référence aux champs, ἀγρός. Cela veut donc dire: comme un paysan. Dans les champs on se comporte de façon grossière, les agriculteurs se comportent de façon grossière. Ce jugement de valeur fait réfléchir: pour Platon l’agriculture n’est donc pas un art? En effet cela semblerait le cas. Pourtant l’agriculture serait un autre exemple très parlant: les techniques ne sont pas suffisantes sans une connaissance théorique qui permette, par exemple, de faire en sorte qu’un champ reste fertile dans le temps…

Mais bon, selon la sensibilité de Platon - ou plutôt des grecs de son époque - les paysans sont grossiers et les musiciens sont très doux (πρᾶος): le musicien ne rigole pas - comme Phèdre l’a imaginé pour Sophocle et Euripide -, il ne dit pas à son élève qu’il est fou - comme auraient fait les Acuménos et Éryximaque de Phèdre -, mais il lui explique gentiment ce qu’est l’art de l’harmonie (ἁρμονία), ou mieux, ce qu’il n’est pas: l’harmonie n’est pas seulement l’ensemble des techniques qui permettent de faire des sons.

Revenons aux différents exemples: la médecine n’est pas seulement la connaissance des médicaments, mais aussi la connaissance de comment, quand et à qui les administrer; l’art d’écrire des tragédies est l’art de mettre ensemble dans un tout cohérent une série de techniques rhétoriques; la musique n’est pas seulement un ensemble de connaissances techniques, même si ces connaissances sont nécessaires.

Voici ce qui est affirmé clairement dans ce troisième exemple: les connaissances techniques sont nécessaires, mais non suffisantes. Le mot ἀνάγκη (nécessité) est utilisé. Les connaissances techniques sont nécessaires, on ne possède pas un art sans elles, mais un art est quelque chose de plus: il est ce qui permet de voir ces techniques comme un tout cohérent en vue d’un but, d’une finalité.

Les connaissances techniques sont des connaissances préliminaires et nécessaires pour l’obtention d’un art. L’expression en grec est τὰ γὰρ πρὸ ἁρμονίας ἀναγκαῖα μαθήματα. Un μάθημα est une connaissances qu’on acquiert en étudiant (μανθάνω), c’est le fruit de l’apprentissage. Les deux termes utilisés pour parler de connaissances sont μάθημα et ἐπιστήμη. Ici le verbe ἐπίστημι est aussi utilisé avec μάθημα: connaître les enseignements. On verra que ce πρὸ ἁρμονίας - pour l’harmonie, en vue de l’obtention de l’art de l’harmonie - sera décliné dans les répliques suivantes pour tous les autres arts: τὰ πρὸ τραγῳδίας, τὰ πρὸ ἰατρικῆς.

ἀγροίκως, ἁρμονία, πρᾶος, ἀνάγκη, μάθημα scholia