In Platonis Phaedrum Scholia: 242a8-b7
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Σωκράτης
θεῖός γ᾽ εἶ περὶ τοὺς λόγους, ὦ Φαῖδρε, καὶ ἀτεχνῶς θαυμάσιος. οἶμαι γὰρ ἐγὼ τῶν ἐπὶ τοῦ σοῦ βίου γεγονότων λόγων μηδένα πλείους ἢ σὲ πεποιηκέναι γεγενῆσθαι ἤτοι αὐτὸν λέγοντα ἢ ἄλλους ἑνί γέ τῳ τρόπῳ προσαναγκάζοντα —Σιμμίαν Θηβαῖον ἐξαιρῶ λόγου: τῶν δὲ ἄλλων πάμπολυ κρατεῖς—καὶ νῦν αὖ δοκεῖς αἴτιός μοι γεγενῆσθαι λόγῳ τινὶ ῥηθῆναι.
Φαῖδρος
οὐ πόλεμόν γε ἀγγέλλεις. ἀλλὰ πῶς δὴ καὶ τίνι τούτῳ;
Socrate
Tu es divin en ce qui concerne les discours, Phèdre, et vraiment admirable. Je crois que des discours qui ont eu lieu pendant ta vie, personne n'en a provoqués plus que toi, que tu les aies prononcés toi-même ou que d'une manière ou d'une autre tu aies obligé un autre à les prononcer. Mis à part Simmias de Thèbes, tous les autres tu les dépasses largement - et maintenant tu me sembles être à nouveau responsable du fait que je vais prononcer un nouveau discours.
Phèdre
Tu ne m'annonces pas une guerre. Mais comment? Et quel discours?
Platon, Phèdre, 242a8-242b7
Divin et admirable en ce qui concerne les discours. Phèdre est en un instigateur continu. On le retrouve dans le Banquet, c’est encore lui qui propose de faire un éloge de l’amour - ou du moins c’est ce que dit Eryximaque.
Cette réplique semble une sorte de note historique: elle décrit Phèdre et ce qu’il a fait dans sa vie. Pendant le temps de sa vie, Phèdre a été la cause d’un grand nombre de discours. Il est comme un producteur de discours, producteur dans le sens cinématographique du terme.
Ce qui est intéressant de ce rôle que Socrate attribue à Phèdre est le fait que la cause du discours n’est pas celui qui le prononce, mais celui qui en déclenche la possibilité. Comme au cinéma: c’est le producteur et non le réalisateur qui fait le film. Encore des éléments qui proposent un modèle différent de celui d’un individu qui pense et parle pour exprimer ses pensées.
Le rôle du parlant dans la production d’un discours est moindre: tout d’abord il y a une inspiration - divine, venant des Muses, des Nymphes, du lieu… - ensuite des conditions particulières qui poussent au discours - un producteur de discours comme Phèdre, par exemple, une situation spécifique - l’heure, le temps… - toutes ces conditions convergent pour faire émerger le λόγος.
La question de la paternité des discours est donc évoquée ici. Elle sera au centre de la discussion sur l’écriture à la fin du dialogue. Mais le père ici n’est pas le parlant, mais le producteur. Phèdre a des fois été la cause de discours qu’il a fait lui-même (αὐτὸν λέγοντα), mais aussi - et c’est le cas ici - il a été capable d’obliger d’autres personnes à en faire. L’ἀνάνκη réapparaît avec le verbe προσαναγκάζω.
Phèdre est donc la cause, le responsable (αἴτιος), Phèdre est le plus grand producteur de discours. Mais pas vraiment. Avec une petite note critique, Socrate, dans son éloge, taquine le jeune homme: Simmias est plus grand que lui. Simmias, on le retrouve dans le Phédon, il est la “cause” du discours de Socrate sur l’immortalité de l’âme et il semblerait que Platon le considère plus intelligent que Phèdre.
Quoi qu’il en soit de cette compétition entre producteurs de discours, Phèdre est ici la cause d’un nouveau discours que Socrate annonce. Ce dernier vient en effet de changer d’avis suite à la réplique de Phèdre, il ne passera pas le fleuve, il va encore parler. Cette annonce ne peut que provoquer la joie de Phèdre qui répond comme quelqu’un qui reçoit un messager portant de bonnes nouvelles. La litote (“ce n’est pas une guerre…”) utilisée met encore en avant la possibilité de dire une chose et son contraire. Il y aura une guerre, mais cette guerre n’est pas une vraie guerre, dans le sens qu’elle n’est pas une mauvaise nouvelle pour Phèdre qui aime les guerres de discours.