Protégeons-nous les revues ou la conversation scientifique?
Ces derniers jours, un grand différend est en cours entre le CRSH et l’Association canadienne des revues savantes (CALJ/ACRS). On peut en retrouver les points fondamentaux, par exemple, ici et ici.
J'en ai marre de l'arrogance stupide et arriérée avec laquelle certaines revues prétendent garder des modèles de publications obsolètes, économiquement insoutenables et nuisibles à la circulation de la connaissance.
Pour faire court: 1. Le CRSH finance les revues savantes à hauteur de $30000 par an 2. Il demande en échange le respect de certaines conditions... l’une d’entre elles est que les publications si généreusement financées soient accessibles...
Le CRSH, plus précisément, demande juste une barrière mobile de 12 mois. Cela me semble déjà une folie: les contenus produits avec l'argent public devraient être mis à disposition immédiatement et gratuitement! Cependant, CALJ prétend qu’en rendant disponibles les contenus 12 mois après leur publication, on signe l’arrêt de mort des revues. Il s’agit clairement d’une affirmation infondée, mais à la limite, même si c'était vrai, posons-nous la question : que doit-on financer ? Les revues scientifiques, ou bien la circulation des contenus scientifiques ? Faut-il préserver à tout prix une institution, même si elle ne remplit plus la tâche pour laquelle elle avait été créée? S'il faut davantage que 850$ (c'est le tarif payé par le CRSH) pour publier un article, peut-être faut-il alors trouver d'autres manières de diffuser la connaissance?
Les revues, historiquement, servaient à rendre publics des contenus pour que la conversation scientifique puisse avoir lieu. Aujourd’hui elles (du moins celles qui adhèrent au point de vue exprimé par CALJ) servent à prendre en otage les contenus pour que la conversation scientifique ne puisse pas avoir lieu. Elles servent à maintenir un statu quo où les universités riches dominent les universités pauvres, où la carrière et la légitimité d'un chercheur dépendent davantage de son réseau que de la qualité de ses recherches.
Je suis moi-même le directeur d'une revue financée par le CRSH (Sens public). Ma revue est en accès libre et utilise une grande partie du financement du CRSH pour développer des technologies innovantes qui permettent de mettre en place et d’animer la conversation scientifique - avec des annotations, des échanges entre la communauté, etc.
Que les revues changent ou crèvent. Les chercheurs n'ont pas besoin d'elles pour discuter: il suffit qu'ils publient leurs travaux sur leurs blogues - avec 850$, ils pourraient se permettre d'excellentes révisions scientifiques et éditoriales!
Et que l’on arrête de jeter de l'argent public pour faire survivre des dinosaures inutiles et nuisibles à notre société, juste par crainte de leur valeur symbolique passée.