Profil et collectif - séminaire Écritures numériques

Notes de séance (prises par Servanne Monjour): http://seminaire.sens-public.org/spip.php?article53

Introduction de Louise Merzeau : cette séance doit nous permettre de répondre à un ensemble de questions : à partir de quel stade, quel seuil, peut-on parler d'éditorialisation ?
dans quelle mesure construit-on son profil et dans quelle mesure est-on construit par son profil ? Qu'est-ce que le partage ? le collectif ? Dans quelle mesure est-on écrit par les dispositifs eux-mêmes ? Dans quelle mesure cela relève-t-il de l'aliénation, ou au contraire de la création, de l'écriture de soi ? Quel rapport aux autres se tisse dans les réseaux ?

Première intervention : Irène Bastard - Télécom ParisTech
Stratigraphie d'un compte Facebook - de l'identité au réseau

Irène Bastard a mené un travail de recherche basé sur l'étude des pratiques d'usagers : comment cherche-t-on l'information ?

3 champs d'étude pour comprendre le profil :
- identité (comment se construit-on une identité sur les réseaux ?)
- activité (comment discute-t-on sur internet ? Est-ce si différent de la vie réelle ?)
- sociabilité (les réseaux sociaux sont nés bien avant Facebook, mais peut-on déterminer aujourd'hui des spécificités propres à des réseaux comme Facebook ?)

Irène Bastard a choisi deux terrains privilégiés pour l'étude du partage d'information en ligne :
- les lycées (l'étude a d'ailleurs amené les élèves à s'interroger sur leurs propres pratiques et leur identité numérique)
- Algopol (projet ANR) = 15000 comptes

De l'identité au profil : les adolescents n'ont pas forcément une compréhension politique et technique de Facebook, mais ils n'en gardent pas moins une distance par rapport au réseau, et surtout à l'entreprise.
Aspect collectif très fort : certains ados se partagent des comptes, des mots de passe...

Facebook ne reste qu'un support d'expérience, dont on doit pouvoir se détacher (certains ont tenter d'arrêter FB après un pari).

L'amitié sur Facebook se mesure en termes d'activité :
Pour les ados, il est normal de mentir son son profil, sa vie, etc. En revanche, on ne ment pas sur les liens avec les personnes : sa meilleure amie sur FB doit être sa meilleure amie dans la vie.
Les différents artefacts de Facebook servent à signifier la distance ou la proximité avec certaines personnes (les meilleurs amis sur FB, ceux qui like ou commentent le plus, sont aussi ceux que je vois tous les jours).

Synthèse : Règles et ajustements : Facebook comme mémoire.
Beaucoup de questionnements sur les pratiques.
Tropisme sur l'activité.
Les pratiques des internautes se sont ajustées - les pratiques sur FB répondent à des règles perso que l'on se fixe, mais que l'on a du mal à respecter soi-même.

Seconde intervention : Éric Méchoulan - Université de Montréal

Un profil a toujours deux faces : l'émission d'une singularité, d'une personnalité, et une autre face qui sera d'office plurielle.
Lorsque je m'adresse à d'autres (ou quand je m'adresse à moi-même), il y a d'emblée un aspect pluriel. La question excède le numérique et pose une importante longévité historique.
Après les attentats de Paris la semaine dernière, possibilité de mettre sur sa photo de profil le drapeau bleu-blanc-rouge. La photo d'identité du profil FB s'est ainsi vue augmentée d'un ensemble de symboles : un effet nationaliste apparaît tout à coup, qui suppose une certaine idée du collectif - le biface apparaît ici avec force.

Un point de comparaison ou un point d'ancrage pour penser la question du profil serait la procédure de confession dans les premiers siècles du christianisme : publicatio sui selon les pères de l'église - qui serait en quelque sorte l'ancêtre de l'éditorialisation.
Donc, il existe un double aspect de présentation du soi sous forme de confession (présentation de soi-même, vérité sur soi-même qui est partie prenante d'une mise en scène, d'une théâtralité).

L'adresse est à la fois une façon de saisir ma singularité (j'ai une adresse), en même temps, cette adresse est par définition collective : elle doit être divulguée, pour m'identifier par rapport aux autres. On retrouve encore une fois les deux aspects du profil.

Il ne s'agit pas de penser d'un côté des êtres, de l'autre le collectif, mais de penser "des êtres avec", de penser la relation.

La façon dont s’énonce une adresse structure nos relations :
- traçabilité des activités, des opérations, des navigations
- applications qui tentent de prendre le contre-pied de l'archivage : tentative et séduction de moments éphémères (snapchat)

Synthèse de Louise Merzeau et questions :
On note encore aujourd'hui l'importance du passage de l'information par l'adresse (on prend des nouvelles de son réseau) = une injonction conversationnelle qui s'est répandue partout aujourd'hui. L'idéologie du web dit social se base sur l'interlocution.
Possibilité d'une réflexivité : organiser, inscrire, relayer des traces, mais aussi créer les conditions sociales, techniques, politiques, pour créer une réflexivité de ces questions.
Enjeu : Le profil est-il un espace de réflexivité ?

FB n'est pas efficace pour la publicité ciblée (Twitter, par exemple, est beaucoup mieux structuré). Facebook est une vraie chambre d'adolescent selon Irène Bastard.
Même si les ados sont aujourd'hui nés avec le web, chacun développe des pratiques et surtout des compétences très hétérogènes.

En ouverture, nous pourrions réfléchir à la notion de négociation.

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