Pour Louise Merzeau
Chère Louise,
les plans étaient différents. Pour être sincère, je me sens trahi. Nous avions discuté de la suite, il y a quelques jours, et les plans étaient différents. Il fallait continuer notre discussion, car depuis quelques années tu as été l'une des personnes qui a le plus apporté à la réflexion sur l'éditorialisation - et sur le numérique en général. J'étais ravi à la perpective de recommencer, en septembre, le dialogue avec toi. Via Skype, mercredi, nous avions identifié les questions qui restent ouvertes. Après 10 ans de travail commun, il nous semblait évident que l'éditorialisation soulève de façon forte la question de l'espace. Le séminaire de l'année prochaine devait donc porter sur ces questions. Tu avais proposé de travailler en atelier, d'abord sur les notions d'environnement, écosystème et milieu. Après sur les concepts d'espace, architecture et territoire. On devait avoir des discussions approfondies sur ces thématiques et j'étais sûr que tes remarques précises nous auraient permi d'avancer. Tu savais penser ensemble, penser avec les autres, en créant une dynamique où on ne savait plus qui avait pensé quoi. La pensée se faisait de façon collective. Je te posais des questions, tu m'en posais, on répondait. Nicolas, Servanne, Enrico... toute l'équipe à Montréal avait plongé dans cette discussion et avançait grâce à ce dialogue. Nous avons approfondi ensemble la notion de profil, puis ton idée de la "maîtrise de la déprise": les plateformes numériques nous font perdre le contrôle, mais nous pouvons maîtriser cette perte de contrôle, et c'est là que se joue la possibilité de production identitaire. Nous nous sommes interrogé sur le rapport entre individualité et collectivité, sur ce qu'est un document, sur les limites de l'éditorialisation. Nous avons cherché à être d'accord, puis nous avons essayé d'identifier nos points de désaccord pour continuer les débats.
Mais j'ai encore plein de questions, chère Louise, j'ai plein de questions et tu t'en vas comme ça, tu quittes la table sans préavis. Tu ne l'as jamais fait, on savait qu'on pouvait toujours compter sur toi pour continuer la discussion. Tu n'en avais jamais assez, jamais tu ne te soustrayais au dialogue, tu acceptais et prenais au sérieux toutes les provocations, tous les défis.
Mais peut-être, chère Louise, même maintenant, tu n'as pas vraiment abandonné la discussion, tu ne nous as pas laissé sans réponses, ni sans questions. Tu t'en rappelles? On en avait parlé justement à la fin d'une saison de séminaire il y a quelques années. Tu avais soulevé la question de l'Oeuvre. Tu avais demandé: est-ce possible de produire une oeuvre à l'époque de la pensée et de l'écriture collective? Nous partagions cette préoccupation de l'oeuvre - qui pourrait pourtant sembler désuète. Aujourd'hui ta préoccupation me semble encore plus pertinente: nous allons pouvoir continuer le dialogue avec toi, justement grâce à l'oeuvre que tu laisses. Une oeuvre riche et multiforme - des articles, des vidéos, des commentaires sur Twitter, des photos, des billets... - qui, j'en suis sûr, va profondement alimenter la réflexion sur le numérique dans les années à venir.
Merci Louise pour tout ce que tu nous as donné, et merci pour tout ce que tu nous donneras encore.