On éditorialise le monde plutôt que les contenus
Je veux revenir encore une fois sur les définitions d'éditorialisation et sur ses caractéristiques. Dans les dernières années, j'ai proposé deux définitions d'éditorialisation:
1. "L'éditorialisation désigne l'ensemble des appareils techniques (le réseau, les serveurs, les plateformes, les CMS, les algorithmes des moteurs de recherche), des structures (l’hypertexte, le multimédia, les métadonnées) et des pratiques (l’annotation, les commentaires, les recommandations via les réseaux sociaux) permettant de produire et d’organiser un contenu sur le web" (cf. par ex cet article)
Cette définition me semblait trop restreinte car elle ne rend pas compte du pouvoir de production du réel de l'éditorialisation. On n'éditorialise pas seulement des contenus, on éditorialise aussi des choses: on peut éditorialiser une personne - par exemple en créant un profil - on éditorialise une ville, un lieu, un évènement (comme le dit Louise Merzeau), un objet (un livre, une voiture, une cafetière...)
C'est ce que j'essayais de prendre en compte avec la définition la plus récente (que j'ai donné dans mon article Qu'est-ce que l'éditorialisation) :
2. L'éditorialisation désigne l'ensemble des dynamiques qui produisent et structurent l'espace numérique. Ces dynamiques sont les interactions des actions individuelles et collectives avec un environnement numérique particulier.
Cette définition est basée sur une hypothèse préalable: le fait qu'il y a une hybridation entre l'espace numérique et l'espace non numérique. Structurer l'espace numérique signifie donc structurer l'espace en général.
C'est là la caractéristique fondamentale de l'éditorialisation et ce qui la distingue de l'édition et de la curation des contenus: il ne s'agit pas tellement de structurer les informations que nous avons sur quelque chose - par exemple sur une personne; il s'agit de structurer la place que cette chose occupe dans le monde: on éditorialise les choses et non les informations sur les choses.
J'ai souvent donné des exemples pour démontrer cette idée: la visibilité d'un restaurant - et donc sa place dans l'espace social - dépend aussi de sa place sur Tripadvisor ou dans la liste d'un moteur de recherche. Si l'éditorialisation est l'ensemble des dynamiques qui déterminent la place d'une chose dans l'espace numérique, alors, éditorialiser signifie concrètement opérer sur les choses elles-mêmes.
Mon identité éditorialisée via mes profils (réseaux sociaux, sites institutionnels, blogues, etc.) fait partie de mon identité: voilà pourquoi, avec Peppe Cavallari, j'écrivais qu'on peut s'éditorialiser. Le COD du verbe n'est pas "les informations qui existent sur soi" mais la personne elle-même.
Il faudrait donc parler plutôt d'éditorialisation du monde que d'éditorialisation de contenus...