Les virus les plus dangereux: Gafam, Zoom, Team et la privatisation de l'espace public
Habermas le disait déjà en 1961 dans L'Espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise: l'espace public est depuis plusieurs siècles en train d'être écrasé entre l'espace privé et l'État.
Depuis longtemps plusieurs chercheurs soulignent l'explosion d'une privatisation généralisée de l'espace de nos sociétés à cause des technologies numériques propriétaires. Les villes sont désormais dans les mains de sociétés comme Airbnb ou Uber: les routes sont littéralement envahies par des trottinettes Uber ou d'autres sociétés privées qui, sous prétexte de donner des solutions "gratuites" à nos besoin de déplacement, prennent le contrôle sur nos données en enregistrant touts nos déplacements et en utilisant la grande quantité de données pour avoir la main sur nos pratiques, sur nos comportements et sur nos usages. L'accès à nos connaissances et au savoir est désormais monopolisé par une société, nos communications et nos relations dépendent d'une autre unique société.
Nous sommes désormais manipulés par ces sociétés, sans même pas le savoir. Avec l'idéologie de "rendre la vie facile" nous sommes en train de déléguer la pensée à ces sociétés privées. Le problème n'est pas évidemment, "le numérique". Le problème est le fait que le code qui régit toutes ces applications est de propriété de compagnies privées et donc est 1) opaque, 2) dessiné pour servir avant tout des intérêts privés, 3) concentré dans les mains d'une poignées d'entreprises ce qui a un effet d'uniformisation de toutes les pratiques, de réduction de la pluralité des points de vues à une unité violente et en plus non négociable.
Mais ce qui est en train de se produire dans les derniers mois est encore plus grave et encore plus alarmant: les GAFAM deviennent notre seul et unique espace de vie. Zoom, Team, des applications mobiles (dont le code est évidemment propriétaire) pour tracer les déplacements avec l'excuse de garantir notre sécurité. Garantir ma sécurité signifie être obligé d'avoir un cellulaire dans ma poche avec des logiciels dont le code est inconnu - car fermé et de propriété d'une entreprise -, qui regarde ce que je fais - on ne sait pas exactement comment, les algorithmes étant inconnus - et qui envoie ces données on ne sait pas trop comment ni à qui, ni quand... Ce qui est totalement absurde est que pour conduire ma vie je sois obligé de passer par des compagnies privées. Je n'ai pas le droit de vivre dans nos sociétés d'aujourd'hui si je n'ai pas un compte Apple ou Google. Ces sociétés ont pris la place de l'État, ou mieux, elles se sont ajoutées à l'État comme nouvelle instance de contrôle et de gestion.
Nos réunions de recherche à l'université se passent physiquement dans les serveurs de compagnies privées dont les pratiques sont - encore une fois - inconnues ou du moins très opaques. Et nos institutions ne font rien: elles préconisent l'usage de ces logiciels qu'on devrait au contraire considérer comme des malwares, des véritables virus.
Et oui, le virus le plus grave en ce moment n'est pas le covid, c'est le code propriétaire qui se faufile dans nos vies et dans nos pratiques en les orientant, en les canalisant, en formatant notre manière de penser, en la standardisant avec des ergonomies et des philosophies de vie préconfectionnées qui servent à mieux nous gérer en tant que cibles publicitaires, acheteurs etc. Et en effet c'est ça un virus: un organisme externe qui se sert de nous pour se reproduire.
Il est urgent de réagir! Refusons de devenir les pantins de deux ou trois compagnies privées!