L'annotation : le savoir dans la marge
Le 16 janvier avait lieu la deuxième séance du séminaire "Écritures numériques et éditorialisation" où il était question d'annotation avec, à Paris, Marc Jahjah et Christophe Leclercq, et à Montréal, Stéfan Sinclair. Celui-ci a généreusement accepté au dernier moment de remplacer Ray Siemens, dans l'impossibilité de venir.
Nous avions préalablement demandé aux intervenants :
1. Quels sont à votre avis les enjeux qui résident dans les annotations numériques (du commentaire de blog aux pratiques de taggage en passant par les notes prises sur un livre Kindle) et dans leur intégration de plus en plus centrale dans les dispositifs éditoriaux ?
2. En prenant une place centrale dans les dispositifs éditoriaux numériques, l’annotation semble représenter une opportunité de construction collective des connaissances. Selon vous, quelles conditions seraient à réunir pour que les annotations puissent être considérées comme dispositifs de production de connaissances ? Et pour quelle évolution des fonctions auctoriale et éditoriale ou des dispositifs d'éditorialisation eux-mêmes ?
Deux réponses préliminaires (par email) de Marc :
"1. Les enjeux éditoriaux sont évidemment nombreux et très différents selon les buts (lecture universitaire/plaisir, etc.), les acteurs (universités, commerciaux, constructeurs de tablettes, etc.), les publics (scientifiques, écrivains, lecteurs, etc.) et les espaces impliqués (applications, web, etc.). Mais tous posent à peu près les mêmes problèmes/enjeux, à savoir : la gestion graphique/spatiale des annotations et du texte (hiérarchisation, lisibilité, disposition); la validité et la pertinence des productions scripturales (qui produit, pourquoi et comment rendre lisible son statut ?). Les réponses à ces questions sont là encore très différentes, de l'anonymat complet des scripteurs dans le cas des glossaires collaboratifs implantés dans des livres numériques (stratégie d'Amazon qui puise dans les ressources de son réseau social Shelfari) à l'identification stricte des annotateurs (projet hypothes.is : annotation du web et notamment des articles journalistiques) qui implique bien évidemment leur gestion (l'application Inkling sur iPad permet ainsi à un professeur de gérer un petit groupe d'étudiants pour suivre leur progression dans les marges des manuels). La gestion spatiale se fait aussi différemment selon les buts envisagés, qui peuvent être certes ergonomiques mais également économiques : ainsi Readmill a récemment implanté le bouton "like" dans son application afin de mieux gérer les annotations affectives ("j'aime ce passage", "trop bien", etc.) qui étaient très nombreuses dans les marges des livres et rendaient difficiles le tri visuel (comme c'est toujours le cas dans l'application de Copia). Une manière d'encourager à des annotations plus analytiques et de fournir aux éditeurs partenaires un outil statistique plus efficace. Les enjeux sont donc également d'ordre esthétique (quelle valeur sommes-nous prêts à accorder à une annotation ?) et les réponses sont encore une fois très différentes selon les textes et les buts envisagés (le site RapGenius offre la lecture d'annotations humoristiques sur des discours de présidents et des chansons populaires). On voit donc bien que la question des enjeux éditoriaux des annotations mérite des distinctions et des nuances assez fines. Elle nécessite aussi de mieux comprendre les annotateurs. Pour cela, une anthropologie des pratiques d'annotation doit être déployée.
2. J'ai en partie répondu à la seconde question (gestion auctoriale). Concernant les conditions nécessaires, elles sont aujourd'hui claires : une meilleure stabilité du document numérique, qui assurerait une pérennité à la citation/annotation numérique (et, par conséquent, son implantation dans des circuits plus classiques : revues universitaires, livres imprimés, etc.); des normes (aujourd'hui débattues au W3C et à l'IDPF) qui permettraient à une annotation de circuler sur le web et de la retrouver dans son contexte d'origine (livre numérique) à partir de l'activation d'un lien. On peut également évoquer la nécessité de développer les outils de gestion des connaissances (graphes, représentation graphique, construction d'un réseau d'annotations en suite organisée d'arguments, etc.), pour rendre plus facilement lisibles les annotations à un tiers."
Notes de la séance :
Premier intervenant - Marc Jahjah
Qui s'intéresse à l'annotation ? Des universitaires, des entrepreneurs, des grandes organisations (comme le W3C). Il y a des dizaines de logiciels d'annotation. De nombreux projets sont en cours ; ils ne touchent pas que les universitaires, mais des publics très différents : des musiciens aux étudiants. On présentera des projets liés au domaine littéraire. Il y a des situations hétérogènes.
- Premier projet : Annotated Books Online
- Annotation MIT
- Textus
- Thub traduction collaborative
- Social Book et Inkling
- Authorea
- A view from the margin
- Hypothes.is : peut-être le plus intéressant. Indépendant, open source. Accréditation des articles par des chercheurs, indépendamment des revues et des validations académiques.
- Read Social
- Dot Dot Dot
- RapGenius
- Readmill
- Bookshout : pour lire les textes sacrés - "lire ensemble comme dans un groupe de prière"
- LiquidText : approche vraiment intéressante de l'écriture comme recomposition
- Frankbooks : un community manager anime la page Facebook d'un personnage
Ce sont des projets différents. Il n'y a pas une solution miracle. Il faut s'adapter selon les besoins. Chaque plateforme a ses caractéristiques et est adaptée à des usages particuliers.
Ce qu'il ne faut pas faire : empilement anarchique non catégorisé des annotations.
Il faut reconnaître l'importance de la contribution du lecteur. Les lecteurs participent désormais à la production des textes.
Il est aussi nécessaire d'établir des normes d'intéropérabilité. Cette normalisation doit aussi porter sur le découpage des textes.
Deuxième intervenant - Stéfan Sinclair
Stéfan nous parle d'un projet en cours : Dynamic table of context
L'idée est de pouvoir uploader des contenus et d'exploiter le balisage xml
Les critères dont on a tenu compte pour ce projet ont été les suivants :
- Code en accès libre.
- Compatibilité aux normes Open Annotation.
- Possibilité d'importation et d'exportation des données.
- Où les données sont-elles hébergées ? On veut pouvoir avoir le choix.
- Possibilité de gérer les annotations privées et publiques. C'est un point très important ! On a tendance à vouloir encourager des pratiques ouvertes, mais il y a parfois un besoin de données privées. Il faut que les deux soient possibles (même si on encourage les commentaires publics).
- On veut un système facile de gestion des comptes pour éviter de gérer les utilisateurs (surtout pour les mots de passe).
- Des outils de sélection pour les utilisateurs (outils de recherche, filtrage, navigation etc.).
Les candidats pertinents : Marginalia (utilisable avec Moodle), Pundit et Annotator (Hypothes.is). On a choisi Pundit.
Un prototype, basé sur Pundit, verra probablement le jour au printemps : à suivre !
Troisième intervenant - Christophe Leclercq
Christophe Leclercq répond en présentant www.modesofexistence.org dont il a suivi jusqu'à présent le développement en collaboration avec une équipe comprenant l'auteur (Bruno Latour), des ingénieurs ainsi que des designers, et d'évoquer de possibles développements.
"S'il est trop tôt pour tirer des conclusions de l'expérience qui doit se terminer (officiellement) fin août 2014, il me semble toutefois possible de répondre utilement, pour ce qui nous concerne, à la seconde question - de fait et pour nous intimement liée à la première. Dans notre cas, le fait d'inciter à soumettre dans un cadre que nous reconnaissons comme contraignant (en l'occurrence, au sein de la colonne 'C' pour contribution, dans l'interface du livre augmenté), ce que nous appelons des contributions à l'enquête en cours et non des commentaires, constitue une tentative - qui peut d'ailleurs se solder par un échec, nous verrons - de considérer les annotations comme dispositifs de production de connaissance pour reprendre vos termes, en évitant par exemple, les jugements hâtifs sans réelle argumentation, etc. Certains passages du livre devant faire en outre l'objet d'une réécriture à l'issu du projet, preuve s'il en est de l'importance pour l'auteur de ces apports extérieurs à une enquête qu'il considère comme collective."
Il s'agit d'un projet qui se déploie en version imprimée et numérique, sans que les deux s'opposent. Le projet numérique impliquera une réécriture du livre papier.
Voir les personnes impliquées dans ce projet.
Le livre est une enquête et les lecteurs deviennent des co-enquêteurs.
Le lecteur peut souligner, et ensuite accéder à un notebook qui rassemble les passages soulignés.
Il y a une distinction entre commenter et contribuer.
Chaque contribution comportera un texte, un document et une référence bibliographique. Les contributions passent ensuite par un médiateur pour arriver ensuite à une contribution qui peut être publiée.
La question que je me pose... Est-ce que l'idée d'établir la pertinence d'une contribution peut être centralisée ? Ou bien est-on obligé de laisser les pratiques s'imposer ?