La fin des compétences et des autorités ?
Hier, on discutait, dans le cours "Écriture et nouveaux médias", du passage au numérique pour le cinéma. Un étudiant remarquait qu'il est beaucoup plus facile de produire des contenus (pas cher, accessible à tous), un autre objectait : "mais maintenant tout le monde se croit artiste, tout le monde peut faire des films, même les incompétents."
La position de mon étudiant est encore très répandue, et se base sur l'idée selon laquelle la qualité d'un contenu est garantie par les compétences de celui qui le produit. Ce modèle est profondément individualiste et autoritaire et je pense qu'il serait merveilleux si le numérique pouvait nous aider à le dépasser. Le savoir, dans l'environnement numérique, se produit et est légitimé par des dispositifs de réseau où, en effet, l'individu n'a plus une place centrale - et donc les compétences non plus.
Le modèle cité par mon étudiant est autoritaire car la légitimation des contenus se base sur une autorité qui définit elle-même les compétences nécessaires pour être considérée comme une autorité. L'autorité, finalement, est toujours auto-légitimée.
Les systèmes de production et surtout de légitimation des contenus en ligne mettent entre parenthèses l'individu et semblent se fonder sur des dynamiques de groupe. Le garant du contenu n'est plus l'auteur (grâce à son autorité), mais le réseau. L'exemple de Wikipedia est évident, mais il y en a d'autres peut-être encore plus intéressants : le réseau des écrivains qui s'est constitué autour de publie.net et remue.net est selon moi un paradigme à analyser.
Il s'agit de contenus littéraires dont la légitimation - la garantie de qualité et d'intérêt et aussi l’accessibilité - se fait grâce aux échanges qui ont lieu parmi les personnes actives dans le réseau.
S'il est vrai que François Bon est particulièrement présent dans ce réseau - il l'anime et le fait vivre - il serait faux, selon moi, de penser qu'il en est le centre ou la condition de possibilité ou encore le gourou (comme le voulait une analyse d'il y a quelques temps dont on trouve les traces ici et ici). Les échanges et l’activité des écrivains dans le réseau rend possible leur visibilité et donne une légitimation à leurs écrits. L'auteur passe ainsi, à mon avis, en second plan car il n'a plus une fonction d'autorité. Je vais lire un texte d'un écrivain parce qu'il fait partie du réseau. Je peut remarquer ses textes dans la masse de données sur le web grâce au fait qu'il est dans le réseau, je crois à la qualité et à l'intérêt de ce qu'il écrit à cause du fait qu'il fait partie de ce réseau.
C'est une ébauche de réflexion, mais j'ai l'impression que l'on doit aller chercher les bonnes pratiques dans ce sens là. Car toute mise en avant de l'individu, dans les dynamiques du numérique, risque d'être très vide et surtout très commerciale : l'individu est ce que l'on peut tracer, profiler et puis vendre. L'individu est un produit, le collectif un acteur, un protagoniste.
J'ai commencé à réfléchir sur ce sujet ici.
À discuter.