Interfaces ?
Le 8 mai, j'étais à l'ACFAS, invité par Thierry Belleguic avec Milad Doueihi, Jonathan Roberge et Stéphane Roche. Je crois que c'est Stéphane qui a commencé à parler d'interfaces. L'interface serait le dispositif qui rend impossible l'opposition. Il n'y a plus A et non-A parce que l'interface fait le lien. Notre logique en prend un coup.
Depuis, j'ai un peu réfléchi à la question : l'interface fait disparaître l'opposition entre numérique et analogique ou mieux, l'opposition entre réalité et description de la réalité. Le dispositif numérique discret reste derrière l'interface qui le rend complètement compatible avec le continuum analogique du réel. L'opposition, à mon avis, reste, mais nous avons de plus en plus tendance à ne plus la voir. C'est ce dont je parlais dans mon livre S'orienter dans le virtuel : le numérique semble être un flux continu, mais il est en réalité un triomphe du discret - qui s'exprime dans sa version la plus simple, une série de 1 et de 0.
À partir de cette considération, on peut faire un pari : le mot "numérique" disparaîtra de notre vocabulaire car les interfaces sont en train de le rendre invisible. Il n'y aura plus de numérique car le numérique restera caché. Un peu comme il n'y a plus 24 photogrammes par seconde, car nous ne voyons qu'un mouvement continu.
Cela me porte à penser que, finalement, le mot virtuel, qui est désormais devenu désuet, devrait être repris. Virtuel pas dans le sens d'irréel - car maintenant nous sommes tous d'accord pour dire que le numérique n'a rien d'irréel - mais dans le sens d'une ambiguïté entre mouvement et cristallisation.
Nous risquons d'oublier l'ambiguïté du numérique qui a tendance à cacher son fonctionnement discret. L'enjeu de cette ambiguïté n'est pas la déréalisation, mais la mise en place d'un système de contrôle de plus en plus transparent, caché par les applications, par exemple, et par un interfaçage de plus en plus performant. En gros, l'interface nous fait oublier l'algorithme.
J'attends de lire le livre The Interface Effect d'Alexander Galloway pour savoir ce qu'il en pense...